nathalie on 5 Oct 2000 23:21:20 -0000
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[nettime-fr] echange patrice reimens/ Federico Casalegno
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Title: echange patrice reimens/ Federico
Casalegno
Exchange with
Federico Casalegno, student of Mafessoli in Paris.
"Patrice Riemens" <patrice@xs4all.nl> a participé à
l'élaboration de la cyberculturecontemporaine depuis les origines
de ce mouvement. Il porte un regard à la fois critiqueet de
connaisseur sur ces phénomènes dont il peut en parler par
véritable expérience personnelle. Disons que plutôt qu'un
acteur central il atoujours eu une présence en marge de ces
différents mouvements sociaux et des cultures digitales. Au
Pays-Bas il est parmi les fondateurs de la liste de discussion
Nettimeet il suis les évolutions des réseaux communautaires, des
milieux activistesen particulier. C'est dans cette perspective que
pour le projet " living memory " il est intéressant
son témoignage, surtout dès lors qu'il s'agit de penser leformes
d'élaboration et de formation d'une communauté, en autre que
lesdynamiques de partage de mémoire en réseau. On peut commencer
notre rencontre en lui demandant quelles sont lesstratégies
permettant la mise en place ces réseaux communautaires ?
PR: En effet, j'ai participé à une mouvance intéressante et je
suisdepuis longtemps les expressions de la cyberculture
contemporaine. Pour esquisserune réponse à ta question, je dirai
que ces types de réseau ne peuvent se cristalliser que grâce à
deux éléments : les affinités communes et lesrelations
personnelles. Mais pour mieux comprendre ce mouvement il faut revenir
aux origines de ce processus : pensons à ce qui s'est passe à
Amsterdam. Ici, il y avait un mouvement " alternatif "
très important de squatters. Un groupe assezvaste qui rassemblait
" l'élite de la jeunesse ", c'est-à-dire des jeunes
militants actifs, intellectuels, bien éduqués, aisées, de bonne
famille. Dans cette perspective, nous ne sommes pas en face d'un
mouvement de masse populaire. Cette mouvance s'exprime, dans un
premier temps, par l'occupation desmaisons vides et, dans la suite,
ils ont élargi leur action à tout l'environnementde la vie
quotidienne; ils occupaient des restaurants, des coiffeurs,
desgarages, bref un arrangement constant et alternatif de la vie
quotidienne. Danscette ambiance, ils avaient également un système
de communication et depublication : à l'époque, ils
communiquaient beaucoup par des listes de téléphone ou de
communiqués de presse. Ils avaient un magazine qui s'appelait
" XXX " et puis ils avaient unemaison d'édition
" XXX ". Dès que le réseau est arrivé, ils se sont
appropriés. À côté de cette mouvance alternative, il y avait
aussi celle des hackers hollandais qui ont eu le bon réflexe de se
distancier rapidement de cette étiquette de " pirates hors la
loi " et de " cyber-terroristes " pour se
reconnaître dans l'idée d'un mouvement social. Et celle ci est
une caractéristique intéressante des pirates hollandais par
rapport aux autres groupe de hackers. En tous les cas, ces deux
mouvances, celle des hackers et celle dessquatters ne se sont jamais
fusionnées, mais elle se sont rencontrées en permettant
l'effloraison de cette culture alternative digitale. Ainsi, au
début desannées 1990, nous avons vu la naissance de la ville
digitale d'Amsterdam , dugroupe " accès pour tous " ,
ainsi que la société pour les anciens et des nouveauxmédias Ces
expressions de la culture digitale sont donc née par des personnes
quise connaissaient bien auparavant et qui fréquentaient le même
milieu. Ainsi, dans le cadre de la constitution de ces "
communautés virtuelles " caractérisant la cyberculture
contemporaine, on revient au bon vieuxsystème qui s'appuie sur les
relations personnelles et les affinités intellectuelles, politiques
et sociales, et peut-être même de classe, entre lesparticipants.
De plus, et voici un troisième élément fondateur, aux Pays-Bas,
il y avaitun système " d'allocations sociales " que
jusqu'à il y a quinze anspermettait aux personnes de pouvoir vivre
en recevant un aide financier de la part du gouvernement. Des
centaines de personnes avaient donc beaucoup de temps à consacrer
à ces activités et je crois qu'il ne faut pas sous-estimer
cetélément car c'est aussi grâce au fait que les gens étaient
en quelque sortedégagés des soucis matériels qu'ils pouvaient
s'impliquer dans ces projets numériques.
FC : Ces noyaux ont su ainsi créer une masse critique de personnes
qui caractérisent maintenant des " communautés " telle
que celle de laDigitale Stad ou de la liste de discussion Nettime
.
PR: Oui, mais il y avait encore autre chose. D'une part, il y avait
cesystème alternatif à Amsterdam, où les gens étaient assez
connectés disons "physiquement" et par relations humaines
avant que via le réseau électronique. Bien sûr, il y avait des
bagarres et des controverses, mais au moins ils formaient une
"véritable communauté locale". En même temps
cettecommunauté locale avait des contacts avec l'extérieur,
surtout avec des communautés squatters d'autres villes comme
Berlin, Zurich et Paris. Voici donc queces personnes qui avaient du
temps pouvaient voyager : ils avaient l'habitudede fonctionner en
réseau, de se créer des réticules de relations et d'avoirdes
connections à l'échelle européenne et mondiales. FC : Te
réfères-tu à un mouvement exclusivement sociale, politique et
intellectuel ?
PR: Non, l'art a aussi joué un rôle très important. Nettime,
par exemple,s'est créé à la biennale de Venise en 1995. Il
s'est créé en marge de lamanifestation car il y avait des
personnes qui étaient dans la biennale et d'autres qui avaient
débarqué un peu comme ça, par un réseau alternatif, par
"piratage culturel ". Ainsi, s'est créé Nettime. FC :
C'est intéressant de voir comment le réseau électronique
permet, eneffet, l'émergence d'une communauté qui préexistait
au réseau lui-même, avec toutce que cela peut impliquer. Ainsi,
dans les cas que tu es en traind'illustrer, on voit qu'il y a non
seulement une charge émotionnelle subjacente à laformation de ces
communautés qui se mettent en-ligne, mais qu'il y a une forme
dehasard et de spontanéité importante.
PR: En effet, il n'y a pas une volonté fondatrice ou une
organisation qui préexiste à la communauté. Ces communautés
en réseau sont caractériséespar des jeux du hasard, de chances,
des coïncidences qui se cristallisent avec une alchimie
insaisissable.
FC : On revient ainsi à ce qu'on disait au début, c'est-à-dire
que lesaffinités et les relations personnelles sont à la base des
ces communautés en-ligne.
PR: Même la ville digitale d'Amsterdam (commencé en 1993 et
quifonctionne à partir de 1994) se base sur cette dynamique. Puis
il y a aussi le besoinde faire quelque chose, même si cela reste un
peu dans une nébuleuse. Parexemple, dans la création de
l'Amsterdam digitale il y avait trois partenaires qui souhaitaient
"faire quelque chose", mais ils ne savaient pas
quoiexactement. Les hackers voulaient élargire l'usage du réseau,
le Centre culturel Balie voulait faire quelque chose de concret avec
les technologies et lamunicipalité voulait rapprocher le public des
élus politiques.
FC : Il est intéressant de voir comment se forment ces groupes : tu
asdéjà décrit des figures
archétypales caractérisant ces réseaux, mais quellessont les
autres figures clés de ces réseaux ?
PR: Tout d'abord, à l'occasion de la naissance de Nettime il y
avait une cinquantaine de personnes formant le groupe, dont une
trentaine étaient unpeu plus engagés et un petit groupe, d'une
dizaine de personnes, était le plus actif. À l'intérieur de
ça, je pense aux modérateurs. Leur fonction est assezvide et ne
représente pas grande chose car à part régler des conflits,
chose raredans Nettime, il n'y a pas beaucoup de travail. D'ailleurs,
on peut dire qu'ily a plutôt à régler des conflits entre
personnes que de contenu. Cependant, la modération est un travail
presque invisible mais capital. Ce travailconsiste dans la veille des
échanges et aussi dans le fait de chercher à garder les contacts
avec les personnes qui envoient des informations. Si on pense auMonde
Diplomatique , on retrouve les mêmes dynamiques ; le drame est
qu'il y ahuit personnes salariés qui doivent gérer 2500
collaborateurs. Nettime, à lamoindre échelle bien sûr,
rencontre les mêmes difficultés, et c'est ici quel'énergie du
modérateur se consomme. Ce n'est donc pas autant dans la censure ou
dansla rédaction des textes, mais c'est dans le fait de tisser un
véritablecordon entre les membres de la communauté, de leur
écrire et de créer le contactque le rôle du modérateur trouve
son importance. En des termes de "travail concret", on ne
comprend pas bien ce qu'un modérateur fait. Si on regardede prêt
ce que le modérateur de Nettime fait, on n'arriverait pas
àquantifier son activité pourtant indispensable. D'une manière
générale, le management de la communauté prend un tempsfous, ce
n'est pas un travail forcement gratifiant, mais il est
fondamental.
FC : Si l'on pense un peu plus au système d'échange dans les
réseaux, avecune possibilité croissante de stocker des
informations sur des supportsnumériques, J. Baudrillard avance
l'hypothèse de la " fossilisation de la mémoire
".Ainsi, vue que les communautés ont de plus en plus la
possibilité de conserverune mémoire dans des supports
informatiques, on assisterait à la mise en placed'un système
parallèle dans lequel on met la mémoire en dehors de la
communautéelle- même, en créant un circuit autosuffisant et
presque indépendant. Danscette hypothèse, le fait d'archiver des
informations s'apparente plutôt à unphénomène d'extradition
qu'à un phénomène de constitution de mémoire commune. Dans
des groupes en réseau, comment s'articule ce processus ?
PR: C'est une bonne question, et je réagirai plutôt
instinctivement. Par exemple, pensons aux personnes qui, pris par le
désir "d'être à jour"d'une part, et de garder les
traces des informations qui trouvent importantes de l'autre, ils ne
jettent pas les revues ou bien ils découpent les journauxen
empilant les articles à fur et à mesure. Est-ce qu'ils regardent
vraiment,une fois stocké ces informations, cette masse des morceaux
de journaux ou non? J'oseraie dire, en caricaturant mon propos, qu'il
s'agit d'avantage d'un comportement fait par des excentriques et par
des "perdants", car ceux qui s'occupent des choses passé
sans un but précis sont des " perdants ". Si l'on pense
maintenant aux archives de Nettime, il est intéressantconsidérer
le nombre de consultations des archives. J'ai le sentiment qu'ils ne
sontpas très utilisés : ainsi, spontanément, je dirais que la
mémoire descommunautés, rendue encore plus évidente par ces
moyens de stockage électronique, c'est illusoire soir à l'image
de ces piles et de ces piles de feuilles dejournaux découpé et
poussiéreux. Certes, ces archives ne doivent pas être
détruits,au contraire, c'est très bien qu'ils soient là et à
un moment donné ilspeuvent servir, mais il ne sont pas vivant.
FC : En un sens, ton idée c'est que ces archives peuvent
servired'avantage à ce qui font déjà partie du réseau qu'aux
personnes externes.
PR: Oui, en effet. Et je ferai même un parallèle avec le travail
dumodérateur d'une liste de discussion lorsqu'on s'aperçoit de
son travail nonlorsqu'il le fait mais lorsqu'il s'abstient de le
faire. Pour les archives, c'est unpeu pareil. FC : Il me semble que
tu es en syntonie avec J. Baudrillard lorsqu'il ditavec une certaine
ironie, que c'est un peu comme le Ministère du travail, quinous
sécurise et c'est une présence importante, mais il nous ne donne
pas dutravail.
PR: Oui.
FC : J'avancerai encore une hypothèse faite par E. Morin lorsqu'il
dit quele partage d'une mémoire collective permet aux êtres
humains d'avoir une "existence poétique" car on réalise
que nous n'avons pas simplement unevie fonctionnelle ou utilitariste.
Est-ce dans Nettime, ou dans les autres communautés que tu connais,
il y a ce type de dynamique ?
PR: D'une manière générale je suis plutôt d'accord, mais je
répondrai àta question avec un petit détour et en portant ton
attention sur le fait quedans certaines communautés, telle que dans
celle de Nettime, il est plutôt malvue de faire de
l'auto-réflexion sur la communauté, de s'interroger sur ce quiest
Nettime, ce que signifie pour nous etc. Au début de cette aventure
deNettime, même si certains parmi les membres avançaient des
types de questionnementsur le groupe lui-même, les "directions
à suivre", les "objectifs à atteindre" etc., les
autres membres consideraient ces interrogations comme desinspections
futiles du nombril. Aux Etats-Unis, et je pense en ce moment à la
"Seattle Community Network" nous sommes sur un autre
registre car les communautés ont plutôt tendanceà formaliser
leur existence avec la rationalisation de leur "mission",
de leur "raison d'être", "des objectifs", etc.
Ainsi, cette idée mise en avant par E. Morin me semble adhérer
à ce typede mouvance propre à des réseaux comme Nettime et qui
n'enferment pasdirectement leur action avec des projets trop cadrés
et des normes précises, mais ilsont plutôt une attitude à
laisser vivre la vie et la communauté. En cela, ilsont une attitude
poétique.
FC : Nous sommes au cour des problématiques concernant les
communautés,surtout dans l'élaboration de la pensée
européenne dans ces différences avec lapensée américaine.
PR: Oui, dans ce sens il y a une tendance à rationaliser les
fonctionsdes communautés qui est plus évidente dans
l'environnement américain, mêmelorsqu'il se réfèrent à des
formes d'agrégation communautaire basées sur desaffinités
communes. Mais ces formes communautaires sont très différemment
vécues et exprimée par les acteurs eux-mêmes. FC : Pour revenir
au thème de départ, grâce à ce partage de mémoire
l'onarrive à décoller d'une vision purement fonctionnaliste.
PR: Sur ce sujet, j'hésite un peu. Je crois que nous sommes dans
unesituation dans laquelle on apprécie moins cette mémoire
lorsqu'elle est là,disponible, que l'on regrette plutôt son
absence lorsqu'on la cherche. En un sens, le manque est plus clair
que la présence. Il est évident qu'une communautésans histoire
n'est pas une communauté qui marche, mais d'autre part il est
difficile de dire ce qu'une communauté fait avec son histoire.
FC : Suivant S. Moscovici, on peut dire qu'une communauté à
besoin de commémoration, c'est-à-dire de célébrer des
événements, ou des faits,ensemble. Mais il ne s'agit pas
seulement d'une commémoration mais de re-vivre symboliquement des
choses en commun. Il s'agit de se rappeler en commundes choses
communes. Ainsi, tu as déjà montré comment dans Nettime,
parexemple, le fait de s'interroger sur soi est plutôt vu comme
acte nombriliste. Dansd'autres communautés, est-ce qu'il y a des
dynamiques de commémoration qui teviennent à l'esprit ?
PR: Je pense aux mouvements activistes, aux centres des
médiasindépendants ou bien aux autres mouvements qui
caractérisent la contre-culture desréseaux. Disons qu'ils ont
été parmi les forces novatrices et qui ont employé, dèssa
naissance, les formes de communication en réseau à distance.
Cependant, la rencontre physique des personnes est à la base de
leur mouvement. Mêmes'ils utilisent beaucoup Internet, ils se
retrouvent ensemble et physiquement.Bien que tout le monde est
connecté, on dit que si on organise une action ilfaut avoir un
local. Un ami, Gert, a publié dans Nettime un article "on the
importance of the meet spaces" exactement pour souligner cette
dimension complémentaire et fondamentale des communautés en
réseau. Il faut doncavoir un centre où les personnes se
réunissent et qui me rappelle la fonction quetu définis comme
commémoration. Dans ces locaux, dans ces endroits où il y a une
machine à café ou un frigo pour mettre des bières, se créent
et se soudent des liens.Ici, les groupes ont des formes communes de
commémoration ; c'est ici qu'on seremémore ensemble des aventures
communes. Dans cette dynamique, les nouvellescommunautés en
réseau, peut-être plus internationales, marchent exactement comme
les communautés classiques. Un autre élément intéressant à
ce sujet, c'est que les hackers, profilésen hollande comme
mouvement sociaux, après avoir mis en place diversessociétés,
ont maintenant crée des " centres à but récréatif
". Ainsi, la récréation consisteen une activité "
virtuelle ", c'est-à-dire la rencontre via uneliste
électronique et un site Web , mais ils ont aussi des nombreuses
occasionsde rencontre, des fêtes, et ils ont également un local
physique, le Hengaout. Voici que, paradoxalement, un groupe comme
celui des hackers, qui connaîtet maîtrise très bien les
communications à distance, mette en priorité la socialisation
réelle et physique. Et leur site Web en est une bonne illustration
en ce sens qu'il n'y a pas un "véritable contenu", mais
c'est plutôt un album de famille dans lequel ils publient les
photos desrencontres, des fêtes en Italie, des rassemblements à
Linz, etc.
FC : Je vais revenir sur une hypothèse mise en avant par P.
Viriliolorsqu'il parle des dangers de la mémoire du présent, qui
est en train de se mettreen place grâce aux réseaux. À ce
sujet, il utilise la métaphore de la boxe.Ainsi, pour un boxeur
l'instant présent est fondamental, car tout se joue dans
l'anticipation des coups. Il doit prendre la place de l'adversaire
pourpouvoir le battre, et éviter de 'téléphoner les coups'! Il
y a donc un phénomènede 'confusion' des interlocuteurs dans la
boxe que nous retrouvons dans lerapport interactif sur Internet. Il y
a une mémoire de l'instant présent, encorepeu développée,
exceptionnelle et paradoxale, et qui met en acte unecontraction
confusionnelle des temporalités, du passé, présent et futur. Un
crashtemporel donc qui caractérisera nos sociétés
hyper-médiatisées et dont des filmtels que "Ennemy of the
states" ou "Snake eyes" ne font qu'énoncer un
sombreimaginaire de la télésurveillance. Il y aurait donc une
mémoire du présent qui ne s'opposerai tant à celle du passé,
mais qui la remplacerai dans un tempsréel néfaste.
PR: Je ne partage pas vraiment cette hypothèse en ce sens que P.
Virilion'as pas le " hands on experience ", c'est-à-dire
la pratique du réseau,l'usage constant.
FC : On se réfère au " hands on imperative " des
hackers, c'est-à-direqu'ils avaient l'attitude à " toucher
", monter et démonter des appareils et des logiciels.
PR: Oui, P. Virilio n'as pas l'expérience des nouvelles
technologies, etalors il voit le phénomène de dehors. P. Virilio
voit ça à partir desconséquences de masse d'une part et de
l'effet de retour de l'autre. Ainsi, pour reprendrela métaphore du
boxeur, il ne voit pas le coup partir à la source, mais ilessaie de
voir les conséquences. C'est-à-dire qu'il tire des conclusions
à partirdes conditions de possibilité. Ainsi, je ne partage pas
sonttechno-pessimismes, mais en même temps je suis dans une
position un peu élitiste, de "noblesse numérique", et
alors je me dit qu'on arrive à contrôler ces technologies,et
garder une utilisation critique par rapport à cette
accélérationtemporelle. C'est peut-être un peu illusoire, mais
pas sans fondements.
FC : Nous ne sommes pas en face à une situation complètement
nouvelle.
PR: Certe, car l'histoire du "manque de mémoire" c'est
une vieillecomplante qui parcours toute l'histoire de l'humanité.
Or, si on regarde de prêt les problématiques liée à la
mémoire, on s'aperçoit que la mémoire plus que s'inscrire dans
une logique de souvenir commun des faits réels, s'inscritdans une
perspective d'invention du passé. La mémoire, lorsqu'on
l'invoque,peut être vue comme moment de création romantique du
passé, invention destradition. Ainsi, les "traditions
anciennes et authentiques" d'une communauté sont,en
réalité, une mise en scène inventée à un moment précis
pour le besoin dela cause. J'insiste donc sur le fait que le passé,
la mémoire, la tradition nevalent qu'au présent et n'existent pas
en tant que tels : ce qui est importantc'est la rappropriation au
présent. Le passé a toujours été réapproprié auprésent.
Bien sûr, il y a des archives, des images, des témoignages mais
ce sontcomme des "décors de théâtre" que nous pouvons
arranger au présent. Le passé enlui- même est mort.
FC : L'idée de fossilisation de mémoire évoquée plus haut
est, en cecontexte, intéressant. D'autre part la mémoire d'une
communauté ne se met en placequ'avec la construction imaginaire
d'un passé commun, et donc par le biais de la rappropriation.
PR: C'est exact et, de plus, la mémoire est très personnelle.
Bien sûrqu'on a des souvenirs en commun et que l'on partage des
informations, deshistoires, mais chacun passe par un processus
d'élaboration et de rappropriation très personnel. Je prends en
illustration un projet qu'on avait avec Manuel Castels de
reconstruire l'histoire de la culture digitale d'Amsterdam
(d'ailleurs, àce propos, j'ai écrit un article avec Geert Lovink
). L'idée de M. Castelsétait celle d'interviewer des personnes
clés de ce mouvement dans la finalitéd'avoir une histoire non
complètement objective, bien évidemment, mais au moins on aurait
eu un témoignage de base sur l'opinion des acteurs principaux
decette culture, avec leurs désirs, leurs finalités, etc. Ma
réponse était de direque non seulement ces personnes sont
maintenant occupées en d'autresactivités, mais qu'ils vont
expliquer leur expérience et ce qu'ils ont fait à cetteépoque-
là avec les cadres de compréhension qu'ils ont maintenant, avec
leursnouvelles occupations et activités. Par exemple, l'histoire de
la ville digitale d'Amsterdam c'est comme l'encyclopédie en Russie
à l'époque de Stalin ! Il y a des passagesentiers qui ont été
gommés. C'est-à-dire que ce n'est pas autant une
sombreconspiration, mais il y a des événements et des faits qui
viennent réinterprétés en vuedu présent. La mémoire
sélective et la ré-interprétation du passé jouent unrôle
à tous les coups.
FC : Comment voit-tu le processus d'élaboration d'un 'langage'
commun quise fait dans des communautés en réseaux ?
PR: Il y a des cas différents qui varient selon les
communautésauxquelles on se réfère. Par exemple, dans celle de
Nettime, il n'y avait pas dedécalage entre les personnes qui ont
organisé le groupe et les participants. Tous avaient un langage
commun, des affinités et une culture commune. Mais ilest évident
que dans d'autre cas, comme dans les communautés de services oules
communautés civiques tel que "Iperbole" ou "go
getting" (Go-Goettingen,PR), les organisateurs doivent
s'adresser un public élargi et le problème de l'élaboration
d'un langage commun, d'un terrain d'entente, se pose
immédiatement.
FC : Pour terminer notre conversation, pourrais-tu revenir sur
lesobstacles qui peuvent rencontrer les communautés lorsqu'elles se
constituent en réseau ?
PR: Le problème est vaste car parfois cette mise en place de
mémoirecollective peut-être volontariste. Par exemple dans
Nettime notre souhait était celui d'avoir des archives qui
marchent. Ceci s'est mis en place grâce à un denos membres qui
est un génie de l'informatique et qui a crée des archivesen-ligne
qui marchent très bien. Ceci, cependant, ne concerne qu'un
problèmetechnique car si on s'était posé la question au
départ du groupe sur le fait d'avoirdes archives qui marchent,
quelle étais la fonction de ces archives etc., probablement nos
discussions philosophiques aurai empêché la mise en placede
l'archive. Je préférerais porter ton attention sur le fait que la
vie en communautéest très compliquée et difficile, elle n'est
pas plus facile que la vie individuelle. Je crois qu'il y a une
utilisation du mot communauté parfoistrop simpliste. Avec la
diffusion des technologies en réseau on en parlebeaucoup, et l'on
pense qu'on peut créer des communauté avec une facilité sans
égaledans l'histoire humaine. Cependant, les communautés en
réseau demandent beaucoup d'efforts,d'attention et de participation
qui ne sont pas pris en compte par ces visions trop idylliques des
mouvements volontaristes et activistes. Pour reprendre un texte d'un
ami de Nettime, c'est un peu comme le sexe :dans la littérature et
le cinéma, le sexe est bien fantastique et étincelant,mais il est
très différent de la réalité des lits de ménages ! Avec les
nouvelles formes d'agrégation et les communautés en réseau
noussommes dans le même perspective et il faut garder une distance
critique entre le discours et la réalité.