maurice benayoun on Wed, 8 Oct 2003 15:01:38 +0200 (CEST)


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[nettime-fr] les égarements du sens (réponse à Bluscreen)


Petite réponse à « Bluescreen » 

À propos de la manifestation Créer du sens à l’ère du numérique.

Étant mentionné à différente reprise dans  le commentaire de Bluescreen(?) à
propos de la manifestation H2PTM intitulée « créer du sens à l’ère
numérique » je souhaiterais à mon tour apporter mon commentaire.
Je suis totalement d’accord avec ce qu’écrit Bluescreen, et c’est exactement
ce que j’écrirais si comme lui je n’avais assisté qu’à une partie de la
manifestation. Seulement voilà, le matin même de la table ronde qui était
une sorte de conclusion chaotique de la journée, une session de trois heures
organisée par le CITU portait sur le sujet :
"Faut-il encore créer du sens à l’ère numérique ?" avec tous les points
d’interrogation dont Bluescreen semblait déplorer l’absence. C’est à cette
occasion que certains points ont été largement développés qui ne semblaient
pas être repris le soir.

Les intervenants étaient :

Anne Marie Duguet
François Roche
Jean-Pierre Balpe
Jean Baptiste Barrière
Maurice Benayoun

J’assurais une courte introduction et je vous copie, en fin de message, la
version rédigée telle qu’elle figurait dans le programme.

Il est vrai que l’essentiel de ce qui a été débattu le matin n’a pas été
repris le soir et c’est probablement regrettable. Je définissais à cette
occasion la notion de « réduction phatique » qui illustre pour moi
parfaitement le glissement de cette table ronde. Le fait d’établir la
communication se substitue à la communication. 
Puisqu’il faut sous-titrer certains éléments pour rendre les choses
compréhensibles pour ceux qui n’étaient pas présent. Précisons pour ajouter
au comique (tragique direz-vous) de la situation que pendant la table ronde
je transmettais des fragments d’interventions à Derrick de Kerckhove par
écrit, et il répondait l’ensemble étant projeté sur l’écran. Nous avions
donc une visio conférence qui ne fonctionnait pas sinon comme un téléphone à
sens unique illustré par une image quasi fixe, un retour téléphone
épisodique, et un chat écrit projeté. Voila ce qui se passe quand un sponsor
ne va pas jusqu’au bout de ses engagements et qu’il faut bricoler une
solution de dernière minute.

L’anecdote que vous mentionnez sur une performance avec Steve Mann, Derrick
de Kerckhove et Pierre Levy à Toronto durant le "black août", elle était là
pour illustrer le fait que le sens résiste aux limites de la technologie. Ce
qui va dans le votre il me semble.
Quand à mon intervention sur mon peu d’intérêt pour l’art cinétique, elle
renvoyait très directement à un certains nombre de productions, purement
graphiques mécaniques et esthétisantes qui envahissent la création numérique
sans contribuer le moins du monde ni au sens, ni aux sens. On ne peut être
plus dans le sujet!

****
Introduction à la matinée CITU :

Faut il encore « créer du sens à l’ère numérique »  ?
Il est communément admis que la technologie et le réseau véhiculent a priori
du sens. Sur le Net, la quantité d'information qui confine au mouvement
brownien, au bruit blanc, à la neige électronique, est souvent bien loin de
l'organisation sémantique. On traite de flux : quantité d'information
traduisible en diamètre de tuyau, c'est de la plomberie, ce n'est pas de la
littérature, de l'art, de la philosophie, de la recherche, de la poésie.
C'est un tsunami de spam qui nous submerge, de la communication sans
échange; la multiplication d'émetteurs en mal de récepteurs englués dans le
flux comme dans le goudron et la plume. On ne peut cantonner le sens au
champ de la publicité et du design. Les rhétoriques calibrées des
publicitaires, et les formalismes ronronnant des graphistes tiraillent le
sens entre manipulation et cosmétique. L'art qui singe ces procédures se
prive de son pouvoir de questionnement, de son potentiel de rejet des effets
de surface. Le "nouveau" en technologie est comme le "contemporain" en art,
une nécessité dans l'intention et vœux pieux dès qu'on le cadre. Il n'est
donc pas une qualité en soi. Encore moins s'il refuse le sens. Le vide de
sens provient trop souvent de l'éculé re-designé, de la recherche du coup,
du gadget, de la surprise, de l'effet, avec le label "nouveau" comme "vu à
la télé" qui s'épuise avec le suranné des avant-gardes. La création, dans le
champ artistique, assume l'histoire de son apparition. Elle use des moyens
comme véhicules d'un sens, d'une direction qui vaudrait qu'on la suive,
qu'on la devance ou qu'on la contourne, mais pas qu'on l'empile dans la
fosse commune des medias à leur tour massifiés.
****

Maurice Benayoun
www.moben.net



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