Louise Desrenards on Thu, 18 Mar 2004 17:22:14 +0100 (CET) |
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[nettime-fr] Dossier / à ceux qui doutent encore de pouvoir défendre Battisti |
Parce que Battisti est un romancier populaire, la mobilisation pour le défendre ne s'est pas trouvée majoritairement portée par les intellectuels de la pensée critique, ne lui seraient-ils pas hostiles et certains auraient-ils signé sans délai, mais par des acteurs de la culture, éditeurs, romanciers, cinéastes, graphistes, poètes, artistes, et des enseignants, de sorte que c'est devenu une affaire citoyenne, quand au contraire la cause de Persichetti, maître de conférence à l'université de Paris VIII, alla jusqu'au Collège de France, hélas en vain. Souhaitons que ce mouvement entêté portera sa singulière certitude jusqu'à la meilleure issue, pour lui et pour ses amis réfugiés, voir aussi, celui extradé sans formalités en plein mois d'Août, mais qui n'est pas oublié. Telles sont les premières raisons d'en débattre ici. Contre la désinformation c'est essentiellement un site, en nom propre, animé pendant la captivité par à un ami proche qui informe directement de l'oeuvre, de la personnalité et de la défense personnelles de Battisti, où celui-ci se présente droit debout, tel qu'il est, devant le pays qui le condamne et devant la communauté européenne (y compris le monde anglophone, comme plusieurs de ses livres ont été traduits en anglais et distribués aux Etats-Unis), http://www.cesarebattisti.net/ redirigé sur http://www.vialibre5.com/, qui a transmis et poursuit de communiquer le progrès de la mobilisation et des explications ou des témoignages. Ce sont encore deux sites tenus depuis l'Italie dans un environnement généralement hostile, par des Italiens solidaires qui réactivent le devoir de mémoire dans un combat de chaque instant avec les médias, animant un débat qui défie la peur de la délation toujours active, que s'exprime le recentrement à distance de l'histoire et le développement de la réflexion critique, le bilan politique, que jamais personne là-bas ne s'était encore livré de manifester irrésolu. http://www.carmillaonline.com/. C'est donc mieux qu'ailleurs dans ce lieu virtuel sans spécialité de la cause, la liste de diffusion francophone large qu'est nettime.fr ,concernée au titre de son domaine de sensibilité thématique : le web, l'art, et la culture, qu'il paraît nécessaire de faire une entrée urgente, pour rétablir les effets pernicieux de quelques rumeurs, à moins de trois semaines de la prochaine rencontre judiciaire, ce jour même du 18 mars, inauguration du salon du livre à Paris, où Battisti entouré de ses amis se tiendra au stand de ses éditeurs. Le cas Battisti ne peut attendre et Internet est le lieu incontournable de ce débat. Impossible de traiter la question sous forme de slogans et de mots d'ordre quand la désinformation s'organise en convoquant la morale sur des tabous, nous ne voulons pas tomber dans le piège du pour ou contre, il ne s'agit pas de l'affaire Dreyfus, ni de la question du bien et du mal, mais d'une affaire de droit. Cela ne peut que s'expliquer, il faut prendre le temps de l'expliquer. Comprendre ce n'est pas se faire manipuler. "Respect de la parole donnée" "Respect de la parole donnée": un engagement réciproque. Pour Battisti et les réfugiés politiques, en France, cela suppose qu'un contrat passé avec l'Etat ait été respecté : oui, Battisti a radicalement rompu avec la violence. Sous la clause du respect par les réfugiés, en échange, l'Etat français a pris l'engagement de ne pas retirer sa protection. S'agissant de l'actuel président de la république, le respect de la parole donnée comprend quatre points, tout à la fois constitutionnels, institutionnels, politiques, administratifs et symboliques, qui ne peuvent être transgressés sinon par l'avancée d'une faute grave contre la citoyenneté déclarée. 1. L'actuel président Chirac, en toute connaissance de cause de la situation italienne dans les années 80 et 90 et en tant que chef de parti lui-même à cete époque, a pris, aux côtés d'Alain Juppé, la responsabilité de l'accueil de Cesare Battisti en France. En effet, c'est Alain Juppé, premier ministre du second gouvernement de cohabitation, qui fit procurer à Cesare Battisti une carte de séjour pour dix ans. Ceci sur la base d'un acte présidentiel suite a la rupture sociale et politique en Italie (la police s'autorisant souvent sans les juges): Mitterand, dans un rôle de médiateur pour le retour de la paix civile du Sud transalpine, en vue de la meilleure intégration de la communauté européenne, trouva une solution dans l'exil des militants activistes, en proposant un refuge sur le territoire français selon un accord de parole réciproque. 2. La constitution sous laquelle J. Chirac dirige le pays est la même que celle sous laquelle Mitterand le dirigea avant lui (lequel l'amenda en annexe, concernant les droits de l'homme compatibles avec la communauté Européenne - notamment en supprimant le devoir d'insoumission devant l'infamie mais en maintenant le droit d'asile): c'est la constitution de la 5ème république, toujours présidentielle. Le président doit assurer la continuité de ce qui n'est pas prescrit constitutionnellement - y compris les engagements extérieurs pris antérieurement dans ce cadre restant en vigueur (aurait-il lui-même amendé sur la durée du mandat présidentiel) ; il n'est pas le gardien de la constitution - c'est le conseil constitutionnel - mais il est responsable de son application, de sa cohérence et de sa continuité politiques (le droit d'asile). Le respect de la succession présidentielle (à la fois le droit d'asile et la parole donnée du droit d'asile)ne pourrait être transgressé par Jacques Chirac sans dommage pour la crédibilité de l'image présidentielle, ni pour le pacte social symbolique dans lequel, en France, la paix civile est elle-même contenue.(il en va des réfugiés politiques comme des communautés sociales en présence). Cela est à comprendre dès la fondation de la constitution ouvrable au vu du caractère politique qui l'a inaugurée. 3. Ainsi, Jacques Chirac se situe dans la sensibilité politique Gaulliste. Or la 5è république est celle qui a été inventée par le général de Gaulle (qui n'a pas négligé la perspective européenne); chacun sait que le devoir d'insoumission, le droit d'asile, l'amnistie, et l'autonomie, sont les quatre règles par lesquelles de Gaulle s'étant soulevé lui-même s'est exilé, a été victorieux (rétablissant la place internationale de la France par l'attitude critique de l'affirmation de son autonomie, avant même de tenir d'autre puissance), a gouverné puis a restauré par trois fois la paix civile au cours de sa propre carrière politique, et par ces trois attributions indivisibles, d'avoir pu mener des périodes autoritaires sans tomber dans la dictature. Ainsi s'est caractérisée une singularité critique nationale, locale mais persistante aujourd'hui (le pétrole français Irakien en fut-il la cause on se souvient de l'opposition aux Etats-Unis il y a un an) et au titre de laquelle la France a pu jouer un rôle conséquent dans la formation Européenne au moment de la présidence Mitterand. C'est encore l'inspiration sous laquelle les dernières dictatures purent s'achever pacifiquement avant la fondation communautaire : en effet, la clause d'insoumission a structuré le concept gaullien d'amnistie, concept exclusivement politique (non pénal) par lequel l'amnistie présidentielle opère légalement la réconciliation de deux camps en guerre, effectuant la restauration de la paix civile dans le même principe que la paix internationale. Malgré la disparition du devoir d'insoumission en référence de la constitution rénovée, cette ancienne clause ultime de la minorité sous le régime de la majorité, parmi les droits de l'homme acquis de la révolution en France, demeure active dans la conscience populaire, car elle a conquis une exemplarité imprescriptible (eu égard à la Shoa) des actes de la Résistance minoritaire contre les Nazis, en pleine collaboration du gouvernement et du peuple français. C'est une des occurences locales de la polysémie "liberté". Le concept gaullien d'amnistie est un concept duale, intégrant les différents points de vue en présence, qui suppose un rituel d'élévation de l'Etat, sous sa représentation suprème (ici le président de la république, en Italie le président du conseil, etc) ; ainsi l'amnistie après l'Algérie s'appliqua autant aux déserteurs insoumis et aux soutiens du terrorisme algérien par les réseaux de solidarité (l'anthropologue Germaine Tillon elle-même relata ce choix) qu'au camp des militaires factieux et aux membres de l'OAS. Sans amnistie, derrière des ruptures nationales ou des situations de guerre civile, pas de paix civile possible sans dictature. De Gaulle c'est le principe de l'amnistie lui-même, définissant la limite entre la république ou la démocratie et la dictature, fut-elle celle d'un homme, d'une oligarchie ou d'une bureaucratie parallèles ; car c'est bien ce concept d'amnistie qui attribue la dimension démocratique au régime présidentiel de la cinquième république, le distinguant de la dictature, sous la constitution qui rend encore les présidents français éligibles comme présidents de la république toujours actuels en démocratie. 4. Enfin, dans le cas où la loi Perben récente créérait une nouvelle situation du dossier des réfugiés, (ce qui est peu probable au regard des Juges, du moins concernant les instructions ouvertes auparavant), vu les autres nécessités rétrospectives à suivre, pour le président, il lui reviendrait de devoir exercer la gràce présidentielle. Quand au reste des préocupations publiques : la question morale n'est pas à envisager du point de vue du chef d'accusation, dès lors qu'il s'agit d'aveux de repentis sous pression de la récompense ou sous menace, sans présence ni défense de l'accusé, et sans procès d'appel autorisé. Sinon sous un sytème qui ne relève plus du droit respectable en matière de justice légale. Par conséquent, en aucun cas la question de la vérité des accusations ne pourrait être prise en compte, ni même posée, sauf à créditer une loi inique et une justice irrespectueuse des droits de l'homme. Déroger de ce refus en France reviendrait à adopter une position spécieuse relative au droit, mettant en jeu le déséquilibre du pacte social lui-même. Ni le bien ni le mal ne doivent être requis au regard de l'accusation - et par conséquent moins encore au regard de la pénalisation - dans l'affaire des réfugiés du moins ici, sous notre propre loi en toute connaissance de la problématique de violence dans laquelle se trouvaient ces exilés en demande de protection, lorsqu'ils furent accueillis au titre de notre propre histoire critique, cohérente dans le dispositif européen inachevé. Si l'Italie ne s'est pas saisie de l'ouverture qui lui était ainsi faite, n'entendant pas l'amnistie à notre façon, mais en prolongement de la criminalité non de l'opposition politique et par conséquent attribuable à un seul camp, celui resté au pouvoir - ce qui le désempare de stopper sa propre violence (se poursuivant en vengeance) - c'est son problème ou même son droit, mais surement pas les nôtres et moins encore d'en subir la pression telle une ingérence (que nous nous ne nous permettons même pas de faire en Italie). Le développement par les médias des arguments populistes en région européenne dans le climat global actuel: leur source de fait et ce qu'ils révèlent Ces jours-ci, monsieur Berlusconi (qui avait reçu personnellement le président Bush à ses propres frais après avoir été lui-même reçu dans le ranch de ce président américain en 2003), vient d'amnistier le responsable attribué pour l'attentat massif de la banque nationale de l'agriculture à Milan (un des attentats de la série putchiste impliquant des factions de l'armée et de la police, la mafia, l'extrême droite associée à la loge P2, aux ordres des services secrets du Vatican et sous le regard du CIA, en 1969) qui se trouvait réfugié au Japon ; il peut donc revenir libre en Italie où les contre fascistes, que furent aussi les militants de la lutte armée de l'extrême gauche, demeurent emprisonnés où sous contrôle. http://www.confidentiel.firstream.net/imprimer.php3?id_article=118 http://www.liberte-cherie.com/forum.php?FID=37537&cl=4 D'un autre côté, aujourd'hui, personne ne pourrait plus nier que le cas du réfugié politique Battisti, ex leader du groupe prolétarien révolutionnaire armé (parmi tous ceux qui se levèrent à l'instar de Lotta continua et des Brigades Rouges), ayant rompu avec la violence et les activités militantes sans avoir dénié la responsabilité de ses engagements passés, devenu romancier par la catharsis de sa propre expérience inspirant ses fictions, co-auteur de la série Le Poulpe, publié plusieurs fois chez Gallimard dans La Noire, aux Mille et une Nuits, chez Joelle Losfeld (le roman "Le Cargo Sentimental" dit l'Italie tragique et la desespérance de l'exil voyageur dans le monde des dix dernières années), se présente clairement dans un tableau régionnal et global Européen qui ne peut plus être dissocié de la campagne de désinformation et de manipulation, peu importe que les sources fussent des vrais ou des non événements, assortissant en synchronie, par exemple l'instruction de la demande d'extradition, avec la loi Perben et les rumeurs d'attentats férroviaires en France, avec la campagne de haine populiste en Italie, avec - hélas -, la réalisation des attentats multiples en Espagne, avec la campagne médiatique succédant immédiatement aux attentats au regard d'un certain nombre de pressions américaines - autorisation donnée au FBI par le gouvernement fédéral pour le krack des banques de données des fournisseurs d'accès Internet et notamment en direction de l'Europe, dans le cadre des mesures de sécurité anti-terroristes - voir le New-York times du 15 mars -) etc... le tout en climat pré-électoral et électoral dans plusieurs pays de la communauté, comme aux Etats-Unis, quand on sait que la constitution européenne était bloquée sans ouverture possible, depuis quelques mois, du fait de l'intervention unifiée de l'Italie, de l'Espagne de Aznar, et de la Pologne. A ceux connaissant l'histoire de l'Italie à la fin de la post-modernité qui se posaient néanmoins la question de savoir "pourquoi Battisti précisément?" tant il y a d'autres cibles dans la même famille politique, maintenant on pourrait répondre au moins, dans la visée de la guerre de désinformation accompagnant visiblement le climat électoral (ici comme aux Etats-Unis d'ailleurs et sans parler de l'Espagne...) à la lueur sinistre des attentats de Madrid qui environne son cas, pourtant sans rapport, sinon par une dérive analogique douteuse de la part de certains hommes politiques et journalistes, qu'une part des causes revienne probablement à l'objet médiatique qu'il représenterait donc dans une telle stratégie des medias, mieux que tout autre en tant qu'auteur de polars plutôt qu'intellectuel. Et la "punition" n'en serait que plus intéressante pour le public italien réclamant après le pain les jeux. Après une dictature tardive les journalistes espagnols en pleine mémoire des salles de rédaction soumises n'ont pas manqué de réagir immédiatement en citoyens, devant leurs patrons sous pressions, le peuple réagissant plus fermement encore pour signifier son désaccord dans les urnes... nous sommes loin d'une situation semblable en Italie. Là, ceux qui purent provoquer les attentats les plus meurtriers en les imputant à des militants qui ne les avaient pas commis, pour partie d'entre eux sont encore au pouvoir aujourd'hui. C'est dire si aucune pratique n'a changé, de déplacer les responsabilités en cause vers des cibles toutes désignées par les repentis (cette loi qui avait été faite contre les mafieux se retrouvant utilisée contre les politiques), pour effacer la mémoire des actes sédicieux commis avec des complicités du pouvoir, même s'il y a longtemps, puisque, bon an mal an, ce pouvoir un instant ébranlé parvint finalement à se maintenir en toute respectabilité, sur fond de généreux donateur et meurtre virant à répression pénale totale de l'ancienne gauche révolutionnaire, y compris les anarchistes pacifistes. Ainsi la nouvelle gauche italienne, sensibilité radicale voire activiste comprise, est tenue au silence sur les années de plomb tandis que les anciens attendent l'oubli définitif sous le protectorat des geôles... il résulterait environ 2000 prisonniers ou contrôlés, assimilés politiques de toutes tendances, en joyeuse démocratie Italienne pour les autres, dit-on. Or parmi nous "percepteurs de medias" il reste ceux, tous ceux qui devant le "dévoilement" manipulateur, planant sur le cas Battisti, se laissent effrayer devant un tel assaut de justice et de bonne morale pourtant fabriqués à l'évidence, tant l'excès de l'information exhibe lui-même sa propre manipulation... Mais cela impressionne, et même traumatise la conscience, paralyse la conscience critique. C'est qu'ici la Presse s'est également concentrée autour du Président, notamment depuis deux ans : aujourd'hui même, Dacier et Lagardère alliés du pouvoir en place détiennent ensemble 80% de la Presse édition (y compris les livres) et des médias (y compris les chaines de télévision), et Lagardère le monopole de la distribution de la Presse, le tout roulant sur l'une des anciennes compagnies des eaux - l'eau comme le pétrole sont d'inépuisables gisements de revenus. Pour mémoire de la délocalisation, on se souvient du rôle de la Presse américaine autour de Bush, notamment visible au moment de la décision pour la guerre en Irak. On sait de plus le retour opportun de Murdock dans des intérêts médiatiques aux Etats-Unis (et son rachat de radios numériques). De ci, de là, peu à peu, les questions quoique amicales montent exprimant le doute, devant le mal représenté par celui que nous défendons - quand nous pensons défendre les principes mêmes sur lesquels reposent nos libertés décisives, quoique déjà bien restreintes, avant la constitution européenne qui nous apportera plus de démocratie directe, peut-être, à entendre que nous sommes quelques uns convaincus de la gravité de l'omission du devoir d'insoumission devant l'infamie par la communauté européenne, et qu'en attendant mieux il ne resterait donc qu'à devenir plus fermes sur le droit d'asile, déjà bien entamé contre les immigrés, devoir que par conséquent nous ne saurions accepter de subir limité à quelque titre que ce soit du bien ou du mal, dès lors qu'il aurait été accordé, et notamment ne pouvant trahir des réfugiés politiques respectueux de leurs engagements réciproques. C'est à dire là, ici même pour le dire en Europe, si l'énergie positive apportée aux juges et aux avocats pour Battisti servira non seulement la cause des autres réfugiés mais encore le pacte de nos propres libertés. Après le 11 mars, les espagnols confiants dans leur jeune démocratie, émergerait-elle d'une monarchie constitutionnelle, n'ont pas réagi au traumatisme comme la démocratie américaine après le 11 septembre, bien au contraire ; dans le cas de l'affaire Battisti, le défi que l'Italie de la honte lance à notre gouvernement du plebiscite ne nous rapproche pas plus de la réaction américaine que de l'hypothèse italienne, mais nous appellerait plutôt du côté de la belle détermination et de l'ouverture du peuple d'Espagne. Quant à la situation des italiens réfractaires à leur régime, nousne pouvons rien faire sinon les lire pour comprendre, lorsqu'ils expliquent.... Louise _____________________________________________ =============================================== EXTRAITS DU SITE http://www.vialibre5.com Comment fabriquer un monstre. Cesare Battisti et les médias par Valerio Evangelisti (Italie) Intégral (version réduite dans l'Humanité) http://www.vialibre5.com/valerioevangelisti-huma.htm « Cet imbécile ! Cet idiot ! » C'est ainsi que s'exprimait le député socialiste italien Ottaviano Del Turco, jeudi 11 mars, pendant une émission télé appelée « Zona Rossa ». Sur l'écran défilaient les images de Cesare Battisti qui sortait de prison, huit jours plus tôt. Peu avant, un ancien magistrat, Ferdinando Imposimato, s'adressait au public, tout fier : « Nous ne lisons pas les romans de ce M. Battisti, n'est-ce pas ? » Des spectateurs jusque-là passif applaudissaient, enthousiastes. Cela donne l'idée du climat de lynchage que les médias ont alimenté en Italie après que Cesare Battisti a obtenu la liberté conditionnelle. Il y a des émissions contre lui deux ou trois fois par jour, sur toutes les chaînes de télé et de radio. Les hommes politiques, de l'extrême droite jusqu'aux partis de centre-gauche, de l'ancien fasciste Fini à l'ancien communiste D' Alema, sont unis par une surenchère d'accusations contre Battisti et de demandes qu'il soit extradé et enfermé pour toujours dans un pénitencier. On parle d'une « Italie toute entière » qui se révolte, comme si un système médiatique asservi à un système politique à majorité ultra-réactionnaire, et une opposition faible et parfois complice, pouvaient réellement représenter la société italienne dans sa complexité. Il faut bien comprendre ce point. L'Italie est le pays où une ancienne présidente de la Chambre des députés, Irene Pivetti, devenue soubrette, présente aujourd'hui une émission de variété sur la chirurgie esthétique. C' est aussi le pays où l'ancien sous-secrétaire du ministère de la Culture, Vittorio Sgarbi, faisait la pub d'une marque de café en plein exercice de ses fonctions. Et l'Italie est encore le pays où une partie des anciens communistes (« démocrates de gauche »), après avoir approuvé toutes les guerres « humanitaires », « préventives », « démocrates », etc., refusent de voter contre le financement de la prétendue « mission de paix » en Irak voulue par Berlusconi ; où il est presque impossible de trouver des différences de programme économique entre la majorité de droite et l' opposition de centre-gauche, exaltant toutes les deux la « flexibilité » - c 'est-à-dire la précarité du travail - comme axe de la sortie de la crise ; où M. D'Alema, lorsqu'il était chef du gouvernement, tachait ses mains en renvoyant en Turquie le leader kurde Ocalan, réfugié en Italie. D'ailleurs, entre ce geste et la demande d'extradition de Cesare, il y a, à bien regarder, une sinistre cohérence. Mais, au-delà du monde politique, ce sont surtout les grands quotidiens (sauf Il Manifesto et Liberazione) qui se sont chargé de modeler l'opinion publique et de faire de Cesare Battisti un monstre, dans l'espoir peu caché d'influencer la presse française, donc le public, donc les magistrats de Paris... Ici, il faut distinguer les quotidiens italiens dits populaires et ceux qui jouissent d'une certaine réputation, bien que le propos final soit le même. Parmi les premiers, il y a par exemple trois journaux appartenant au même groupe éditorial : Il Resto del Carlino (Bologne), La Nazione (Florence), Il Piccolo (Trieste). Ils sont sortis, samedi 6 mars, avec, en Une, un portrait de Cesare Battisti, qui faisait une étrange grimace, et le titre, énorme : « Ce n'est pas un martyre, c'est un assassin. » Le contenu était tout aussi vulgaire. Surtout, il y avait le renfort d'intellectuels français favorables à l'extradition - dans ce cas Max Gallo et André Bercoff, directeur de France Soir. Peu honteux, dirait-on, de figurer entre des titres chargés de haine. Autre trait commun, outre le langage exacerbé, aux médias populaires - quotidiens de bas niveau, télé privée ou publique (en réalité il n'y en a qu 'une, en Italie), radio d'État - , c'est le défilé des « victimes de Battisti », vraies ou présumées. On a vu on ne sait plus combien de fois à la télé le fils paraplégique du joaillier Pier Luigi Torregiani ou le fils du boucher Lino Sabbadin, tués par les PAC - Prolétaires Armés pour le Communisme, le groupe de Cesare Battisti -, le même jour (16 février 1979), l'un à Milan et l'autre près de Venise, à une demi-heure d'intervalle. Et pourtant, s'il y a quelque chose de certain dans l'affaire judiciaire de Cesare Battisti, c'est qu'il n'exécuta pas de ses mains ces crimes, dans les deux cas. Son accusateur principal - Pietro Mutti, devenu « repenti » après l'évasion de Battisti, faisant parti d'une autre organisation (Prima Linea) et auteur de confessions douteuses (il soutint que les Brigades Rouges auraient été armées par les Palestiniens) - a toujours nié la participation directe de Battisti à l'attentat Torregiani, et la Cour lui attribua seulement un rôle de "couverture" dans l'attentat Sabbadin (simultané à l'autre). Battisti aurait participé à leur organisation, au seul titre de membre des PAC. Le « repenti » Mutti, d'ailleurs, ne se faisait que l'écho de rumeurs entendues dans le « milieu ». D'autre part, le cas Torregiani illustre bien le fonctionnement de la justice italienne vers la fin des années 70 et le début des années 80. Torregiani tua avec un ami, armé comme lui, un cambrioleur qui avait assailli le restaurant milanais où il dînait, le 22 janvier 1979. Un client innocent mourut dans l'échange de coups de feu. Moins d'un mois après, Torregiani fut tué à son tour, devant sa bijouterie. Il blessa par erreur son fils, qui est resté invalide (une bonne partie de la presse italienne continue à écrire que le garçon a été blessé par Battisti en personne). Pendant l'instruction judiciaire, menée contre un collectif de gauche du quartier, il y eut une quantité de confessions « spontanées », dont certaines franchement incroyables. Treize des « coupables avoués » déclarèrent ensuite qu'ils avaient été sauvagement frappés et torturés par la police. Les magistrats italiens, comme le veut la tradition (aucun des policiers coupables d'avoir tué ou torturé des contestataires n'a jamais fini en prison, en Italie ; et le cas de Carlo Giuliani est sous les yeux du monde entier), ensevelirent dans leurs archives toutes les dénonciations. Ce fut la première fois que Amnesty International se prononça contre un pays occidental - l'Italie - pour recours à la torture. Le reste du procès - fondé initialement sur les confessions d'un garçon aux graves troubles psychiques, qui ensuite se rétracta sans que l'on en tienne compte, d'une fillette de quinze ans handicapée mentale, etc. - tâtonna dans l'obscurité jusqu'à l'arrivée du « repenti » de service (quelqu 'un qui dénonce d'autres gens en échange d'une remise de peine : une figure juridique que l'Italie a eu le « mérite » d'inaugurer). Tout cela est bien décrit dans un livre de Laura Grimaldi (Processo all' istruttoria, éd. Milano Libri, 1981) qu'il faudrait traduire en français pour faire comprendre comment fonctionnait la justice italienne pendant les « années de plomb ».. Le fils de Laura Grimaldi fut à son tour accusé d' avoir tué Torregiani, à cause du dessin d'un homme qui avait un fusil dans une main et une bombe dans l'autre trouvé en sa possession. Dommage que ce dessin n'ait pas été pas l'ouvre du jeune homme, comme on l'affirma : il avait été fait en 1944 par un maquisard yougoslave, pour devenir ensuite l' enseigne de l'armée de Yougoslavie. Les années 70 et le début des années 80 en Italie étaient d'ailleurs celles où on arrêtait un pauvre diable pour avoir dessiné, sur la serviette en papier d'une pizzeria, une étoile qui rassemblait à celle des Brigades Rouges ; où on jetait en prison une vieille dame de 80 ans (« Nonna Mao ») comme complice des terroristes ; où Toni Negri et une douzaine de professeurs d'université étaient emprisonnés (le 7 avril 1979) comme « chefs des BR », avant de reconnaître que ce n'était pas vrai et de changer de chef d'inculpation pour les maintenir en prison ou dans l'exil ; où on fouillait, section par section, les bulletins de vote pour voir si quelqu'un avait tracé des mots et des dessins subversifs ; etc. C'est clair que la presse et les médias populaires n'ont aucun intérêt à fouiller dans ce passé pas si propre. Il leur suffit d'avoir trouvé le « monstre », de lui attribuer tous les crimes possibles en ignorant les autres confessions peu utiles de son « repenti » personnel, d'ignorer tout de son procès et d'exposer aux larmes du public les fils de ses « victimes » - plus probablement victimes d'un procès-farce, sans confrontation réelle avec l' accusé, jugé en son absence (sans droit à une nouvelle audience s'il est arrêté, comme la loi italienne, seule exception en Europe, le permet encore). Venons-en à la « grande presse » italienne, celle qui compte : La Stampa, La Repubblica, Il Corriere della Sera, et quelques hebdomadaires. Dans ce cas, il y a une évidente intention de plus grande ampleur : parler aux frères « intellectuels » français et les faire revenir sur leurs pas. Commençons par Barbara Spinelli, correspondante très respectée du quotidien La Stampa à Paris. Son article a pour titre : « Pas lui, mais d'autres sont les victimes. Chers amis français, vous vous trompez sur Battisti. » Il a été traduit sur Le Monde du 13 mars. Spinelli accuse les intellectuels qui ont signé les pétitions pro-Battisti d'ignorance : en vertu de leur penchant pour l'hospitalité et de leur sympathie pour les rebelles, ils se seraient fait tromper. La reconstruction des « années de plomb » en Italie à laquelle ils adhèrent serait celle des réfugiés, et n'aurait rien à voir avec la vérité. Battisti aurait été le « chef » des PAC, et, sans les exécuter personnellement (en ça Barbara Spinelli est plus subtile que la majorité de la presse italienne), il aurait « ordonné » les assassinats de Torregiani et de Sabbadin. Les intellectuels français, nobles dans leur défense de Dreyfus et de Solzenicyn, ne devraient donc se laisser tromper par le fait que Battisti soit l'un des leurs, « un de Gallimard ». Ils devraient mieux s'informer : Alberto Toscano, correspondant à Paris de Panorama, aurait déjà découvert que le directeur de Marianne ne savait rien des crimes concrets attribués à Battisti. Si les intellectuels français avaient vu à la télé, comme Barbara Spinelli, le pauvre fils de Torregiani sur sa chaise d'invalide, ils auraient mieux compris de quel côté est la justice. Voici un exemple de désinformation intelligente. Voyons donc les éléments qui rapprochent Barbara Spinelli de ses collègues « de rang » : - On ignore, ou on fait semblant d'ignorer, que le refus d'extrader Battisti s'appuie sur des principes qui n'ont rien à voir avec sa culpabilité présumée. Les questions en jeu, en France, sont la possibilité qu'une Cour revienne sur la chose jugée, qu'un État enlève tout d'un coup le droit d'asile qu'il avait concédé pendant treize ans, qu'il accepte qu'un prisonnier soit livré à la « justice » d'un pays qui maintient des procédures typiques de l'Inquisition, comme le procès en contumace sans possibilité de nouvelle audience si on capture l'accusé, ou l'abjure du prisonnier comme voie vers la liberté, en confiant à l'autorité l'examen de sa conscience individuelle. - On ignore presque tout du cas qu'on traite. Personne n'a accusé Battisti d'être le « chef » des PAC, sauf une partie de la presse italienne plus vulgaire, seulement pour faire les gros titres. Encore aujourd'hui, il est tout sauf un idéologue. Si on l'accuse de quelque chose, c'est d'avoir « participé » à deux des quatre assassinats qu'on lui attribue car il faisait partie de l'organisation (60 personnes) qui les a revendiqués. Il n'a tué ni Torregiani ni Sabbadin, c'est certain. Les deux autres accusations émanent du « repenti » dont j'ai déjà parlé. Avant d'écrire une seule ligne, il faudrait savoir ces choses, si on a le sens de l'honneur, et non pas accuser ses collègues français (plus intéressés par les principes en jeu que par les détails) d'une ignorance qu' on partage. D'ailleurs la « méthode Spinelli » est commune à la plupart des éditorialistes de la presse italienne et des conducteurs de talk show. Ainsi, Mario Pirani, ancien communiste et ancien dirigeant de l'ENI d'Enrico Mattei, fait dans La Repubblica du 4 mars un portrait de Battisti totalement fantaisiste : « membre des Brigades Rouges », « réfugié au Nicaragua » immédiatement après l'évasion, converti en écrivain en France seulement parce que ça pouvait lui garantir une vie « confortable et sûre » au milieu des intellectuels du Quartier Latin (alors que Battisti a créé sa revue littéraire lorsqu'il était au Mexique), etc. Il est évident que Pirani ne connaît rien de Cesare Battisti. Même chose pour Alberto Toscano, l'une des références de Barbara Spinelli. Toscano, dans l'hebdomadaire berlusconien Panorama, immédiatement après avoir accusé Philippe Cohen, de Marianne, de ne pas savoir de quoi il parlait, décrit en détail, se fiant à une « source bien informée du ministère italien de la Justice », la façon dont Battisti aurait personnellement « fini d'un coup à la nuque, avec un sadisme glacial », le boucher Lino Sabbadin pendant que celui-ci gisait blessé au sol. On a vu que Battisti n'a été accusé d'avoir exécuté directement ce crime. Donc celui de Toscano n'est meme plus du journalisme. C'est de la violence à l'état pur, contre quelqu'un qu'on sait impuissant à réagir par voie judiciaire avec une plainte pour diffamation. C'est la fabrication délibérée et patiente d'un monstre, jusqu'à créer une image capable d' écraser sa cible contre un mur. C'est le « sadisme glacial » qu'on veut prêter à Battisti. Non plus la « méthode Spinelli », mais la plus générale « méthode italienne » de ces jours. Je termine avec le pire, qui nous vient du correspondant de La Stampa à Paris, Cesare Martinetti. Celui-ci traduit pour le public italien une phrase parue sur L'Humanité, qui sonne ainsi : Cesare Battisti a été condamné en 1987 par la justice d'exception - un tribunal militaire -, réservée aux procès des militants de l'ultra gauche. La mention entre tirets - « un tribunal militaire » - est des juges français qui les premiers rejetèrent la demande d'extradition de Battisti venant d'Italie. Quant au fait qu'une justice d'exception était réservée aux militants de l'ultra gauche, personne ne pourrait le nier. Mais voici comment le public italien a pu lire la même phrase, dans la traduction de Martinetti : Battisti a été condamné en 1987 par le juge spécial d'un tribunal militaire réservé aux procès des militants de l'ultra gauche. On doute que Martinetti, correspondant à Paris d'un des principaux quotidiens italiens, ignore la différence entre « réservé » et « réservée » (la « justice d'exception »). Et pourtant sa traduction est passée de quotidien en quotidien, d'hebdomadaire en hebdomadaire, en devenant la preuve de la méconnaissance que non seulement L'Humanité, mais les intellectuels signataires de la pétition contre l'extradition, les citoyens solidaires de Battisti - bref, une bonne partie de la France -, auraient de l'Italie des « années de plomb », perçue comme semblable au Chili de Pinochet. Tout est bon, donc - du mensonge pur à la traduction astucieusement arrangée, de la « méthode Spinelli » au choix des photos les plus adaptées - pour que le « monstre » Battisti et ses livres finissent d'être le témoignage vivant du spectre qu'on veut cacher : l'adoption en Italie de « lois d'exception » pour la plupart encore actives, qui ont permis des centaines de procès-farces, des milliers d'arrestations sans preuve et le massacre sommaire de toute une génération de rebelles. Valerio Evangelisti =============================================================== Cesare Battisti : ce que les médias ne disent pas par Wu Ming 1 Traduit du site littéraire italien Carmilla online http://www.carmillaonline.com/archives/2004/03/000657.html#000657 Préambule 1. Les lois spéciales 1975-82 2. Terrorisme, conscience, "guerre préventive" 3. Censures et erreurs de la presse sur l'affaire Battisti 4. Le "mal français" 5 - Solution politique et amnistie ------------------------------------------------ "Je ne peux cacher mon amertume en voyant resurgir certaines accusations contre la magistrature italienne qui, comme le disait à l'époque Pertini, contribua à arrêter le terrorisme tout en respectant la constitution et les règles de procédure." Armando Sparato, La Republica, 8 mars 2004 "Vu la situation d'urgence [...] le gouvernement et le parlement ont le devoir indéclinable d'adopter une législation spéciale (et le droit) de ne pas se sentir strictement lié par la Constitution." Sentence 15/1982 de la cour constitutionnelle. (c'est moi qui souligne) Après la mise en liberté surveillée de Cesare Battisti, les médias italiens se sont déchaînés, déversant sur l'opinion publique tout le métal fondu pendant des années dans les hauts fourneaux du ressentiment, de la vengeance, de l'obsession sécuritaire. Il est impossible de faire un compte rendu de tous les mensonges et les aberrations écrits et transmis cette semaine. Il n'y a pas un seul article, aussi bref soit-il, qui n'en contienne des dizaines. Même les détails apparemment insignifiants sont erronés. Des faits et des personnages qui n'ont rien à voir avec cette affaire sont jetés dans la marmite pour troubler le bouillon, déchaîner la panique morale, empêcher à n'importe quel prix l'usage de la raison. Un lynchage médiatique comme on n'en avait plus vu depuis longtemps, auquel il est très difficile d'opposer des arguments, des éléments concrets et des reconstructions historiques un minimum approfondies. Et pourtant on ne peut pas renoncer à exercer la raison, on ne peut pas courber le dos et se cacher la tête dans les mains en attendant que passe la bourrasque. Quand bien même il s'agirait d'une entreprise désespérée, il faut opposer la raison au fanatisme. On ne peut pas passer sous silence que, dans ce pays, celui qui continue à s'opposer aux manipulations sécuritaires est destiné à se sentir seul : il s'agit d'une de ces campagnes où l'on doit se garder des deux côtés, à droite (cela va sans dire en français dans le texte, NDT) et à gauche. Des deux côtés les arguments (même s'il est difficile de les appeler ainsi) sont les mêmes. Cela ne devrait pas nous surprendre : parler de l'alerte au terrorisme signifie revenir sur les déformations juridiques, les entorses constitutionnelles et les pratiques inquisitoriales que le Part Communiste Italien de la fin des années Soixante-dix (celui du "compromis historique" et de la "solidarité nationale") soutint avec enthousiasme et abnégation. Les mêmes personnes, aujourd'hui, dirigent le centre gauche. Ou plutôt dirigent cette partie du centre gauche qui, comme les autruches, a récemment mis la tête dans le sable irakien, en refusant de voter contre la participation de l'Italie à l'occupation néo-coloniale de la Mésopotamie. Ces mêmes personnes ont depuis longtemps délégué à une partie de la magistrature debout les difficultés d'une opposition à Berlusconi qu'elles n'étaient pas en mesure de conduire devant le Parlement (quand elles ne refusent pas de le faire afin de continuer le "dialogue", la "responsabilité face aux institution" et l'embrouille bipartite du moment). Nombre de "Juges rouges" (comme les appelle Berlusconi) sont les mêmes qui instruisirent et conduisirent les grands procès contre le terrorisme (vrai ou présumé : les mouvements sociaux de l'époque furent passés dans la même moulinette). La gauche est toujours guidée par la vision de l'histoire de ceux qui écrivirent et approuvèrent les lois d'exception et de ceux qui représentaient l'accusation aux procès qui en découlèrent. Il n'est pas surprenant que ceux qui, à l'époque, prirent et défendirent des positions si drastiques, soient peu disposés à y revenir aujourd'hui pour se reconnaître des torts, ou au moins pour remettre leurs raisons en perspective. Pour cette raison, aussi, qu'à droite, on donne sans pudeur dans le Grand Guignol, on répand de la tripaille pour éclabousser de sang tout le champ de la discussion, on frotte les yeux des téléspectateurs avec des oignons. Avec l'arme de l'émotions incontrôlée et du chantage moral, on rappelle à l'ordre la gauche "réformiste", on la pousse à condamner la gauche "radicale", à diviser le camp de l'opposition. Comme si les "réformistes" avaient besoin d'être poussés... Ainsi on condamne le Pays à l'éternelle peur des fantômes d'un passé, qui en réalité ne passe pas, et n'est évoqué que pour des motifs de basse cuisine politico-électorale. 1. Les lois spéciales 1975-82 « Ce livre, je l'ai écrit avec colère. Je l'ai écrit entre 1974 et 1978 en contrepoint idéologique de la législation d'exception. Je voulais montrer à quel point il est équivoque de feindre de sauver l'État de Droit en le transformant en État Policier. » (les italiques sont de l'auteur de l'article) Italo Mereu, Préface de la deuxième édition de Histoire de l'intolérance en Europe. Pour dire que le terrorisme fut combattu sans renoncer à la Constitution et aux droits de la défense, il faut être mal informé ou menteur. La Constitution et la civilisation juridique furent mises en lambeaux, décret après décret, instruction après instruction. Le décret-loi n.99 du 11-04-1974 porta à huit ans l'incarcération préventive, véritable "peine anticipée" contraire à la présomption d'innocence (article 27, alinéa 2, de la Constitution). La loi n. 497 du 14-10-1974 réintroduisit l'interrogatoire de la personne arrêtée par la police judiciaire, ce qui avait été aboli en 1969. La loi n. 152 du 22-05-1975 ("Loi Réale"). L'article 8 rend possible la fouille individuelle des gens sur place sans l'autorisation d'un magistrat, bien que la Constitution (article 13, alinéa 2) n'admette "aucune forme de détention, d'inspection, ou de fouille individuelle, ni aucune autre restriction à la liberté personnelle, sans un acte signé par l'autorité judiciaire et dans les seuls cas et modalités prévus par la loi." Dès lors, les forces de l'ordre purent (et peuvent toujours) fouiller des personnes dont l'attitude ou la simple présence dans un lieu donné ne lui paraissaient pas justifiables, même si la Constitution (article 16) précise que tout citoyen est libre de "circuler librement" où il veut. La "Loi Reale" contenait plusieurs autres innovations liberticides, mais ce n'est pas ici le lieu de l'examiner. - Un décret interministériel du 04-05-1977 créa les "prisons spéciales". Ceux qui y entraient ne bénéficiaient pas de la réforme carcérale mise en place deux ans auparavant. Le transfert dans une de ces structures était entièrement laissé à la discrétion de l'administration carcérale sans qu'elle ait besoin de demander l'avis du juge de surveillance. Il s'agissait réellement d'un durcissement du règlement pénitentiaire fasciste de 1931 : à cette époque, seul le juge de surveillance pouvait envoyer un détenu en "prison de haute surveillance". Le réseau des prisons spéciales devint vite une zone franche, d'arbitraire et de négation des droits des détenus : éloignement du lieu de résidence des familles ; visites et entretiens laissés à la discrétion de la direction ; transferts à l'improviste afin d'empêcher toute socialisation ; interdiction de posséder des timbres (prison de l'Asinara) ; isolement total en cellules insonorisées dotées chacune d'une petite cour, séparée des autres, pour prendre l'air (prison de Fossombro) ; quatre minutes pour prendre la douche (prison de l'Asinara) ; surveillance continuelle et fouilles corporelles quotidiennes ; privation de tout contact humain et même visuels par les interphones et la totale automatisation des portes et des grilles etc. Tels étaient les lieux où les prévenus, selon la loi encore présumés innocents, passaient leur incarcération préventive. La Constitution, article 27, alinéa 3, dit : "Les peines contraires au respect humain ne peuvent être infligées aux condamnés et doivent tendre à sa rééducation du condamné". Vers quelle rééducation tendait le traitement décrit ci-dessus ? La loi n.534 du 08-08-1977, article 6, limita la possibilité pour la défense de déclarer nul un procès pour violation des droits d'un accusé et rendit encore plus expéditif le système des notifications, facilitant ainsi le début des procès par contumace (contrairement au droit de la défense et contre la Convention européenne des droits de l'homme de 1954). Le "décret Moro" du 21-03-1978 non seulement autorisa la garde à vue de vingt-quatre heures pour vérification d'identité, mais il supprima la limite de la durée des écoutes téléphoniques, légalisa les écoutes même sans mandat écrit, les admit comme preuves dans d'autres procès que ceux pour lesquels on les avait autorisées, enfin il permit les "écoutes téléphoniques préventives" même en l'absence du moindre délit. Inutile de rappeler que la Constitution (article 15) définit comme inviolable la correspondance et tout autre moyen de communication, sauf dans le cas d'un acte motivé émis par l'autorité judiciaire et "avec les garanties établies par la loi". Le 30-08-1978 le gouvernement (en violation de l'article 77 de la Constitution) promulgua un décret secret qui ne fut pas transmis au Parlement et ne fut publié dans le "Journal Officiel" qu'un an plus tard. Ce décret donnait au général Carlo Arberto della Chiesa - sans pour autant le décharger du maintient de l'ordre dans les prisons - des pouvoirs spéciaux pour lutter contre le terrorisme. Le décret du 15-12-1979 (devenu ensuite la "Loi Cossiga", n. 15 du 06-02-1980), non seulement introduisit dans le code pénal le fameux article 270 bis (1), mais il autorisa aussi la police, dans le cas de délits de "conspiration politique par le biais d'associations" et de délits "d'associations de malfaiteurs", à procéder à des arrestations préventive d'une durée de 48 heures, plus quarante-huit heures supplémentaires de garde à vue afin de justifier les mesures prises. Pendant quatre longues journées un citoyen soupçonné d'être sur le point de conspirer pouvait rester à la merci de la police judiciaire sans avoir le droit d'en informer son avocat. Durant cette période il pouvait être interrogé et fouillé et dans de nombreux cas on a parlé de violences physiques et psychologiques (Amnesty International protesta à plusieurs reprises). Tout cela grâce à l'article 6, une mesure extraordinaire qui a durée un an. L'article 9 de la loi permettait les perquisitions pour "raison d'urgence" même sans mandat. La Constitution, article 14, dit : "Le domicile est inviolable. On ne peut pas y effectuer d'inspections, de perquisitions ni d'arrestations, sauf dans les cas et les modalités prévus par la loi et selon les garanties prescrites par la protection des libertés personnelles" (c'est moi qui souligne). En quoi consiste cette protection des libertés dans un système où sont légalisés l'arbitraire, les lubies du policier, la faculté de décider à vue s'il est nécessaire d'avoir ou non un mandat pour perquisitionner ? Dans l'article 10, la fin de l'incarcération préventive pour délits de terrorisme était prolongée d'un tiers par échelon judiciaire. De cette manière, jusqu'à la Cassation, on pouvait atteindre dix ans et huit mois de détention en attendant le jugement ! Avec l'article 11, on introduisit un grave élément de rétroactivité de la loi, permettant d'appliquer ces nouveaux délais aux procédures déjà en cours. Le but était clair : repousser les dates butoirs afin d'éviter que des centaines d'enterrés vivants attendent leur jugement à l'air libre. La "loi sur les repentis" (n 304 du 29-05-1982) couronna la législation d'exception en concédant des remises de peine aux "repentis". Le texte parlait explicitement de « repentir » : nous voici revenus aux tribunaux de conscience, à l'Inquisition. Dans un livre qui, ces derniers jours, a été souvent cité (sur le Net mais certainement pas dans les médias traditionnels), Giorgio Bocca se demandait qui pouvait bien être ce "repenti". « Une personne qui, par convictions politiques, a adhéré à un parti armé et qui ensuite, après un revirement d'opinion, s'en est dissocié au point de le combattre, ou encore quelque aventuriste qui s'est amusé à tuer son prochain et qui, une fois capturé, essaye d'échapper à la punition en dénonçant tout et n'importe qui ? » Je cite le groupe musical "Elio e le storie tese" : « Je pencherais pour la seconde hypothèse / parce qu'elle exhale une odeur nauséabonde » (chanson de "Urna", 1992). Bocca poursuivait : "Sont-ils des terroristes repentis ces petits chefs terroristes qui ont commencé par envoûter les collégiens, les ont convaincus de s'enrôler et les ont dénoncés pour jouir de la clémence des juges ? Sont-ils des repentis sincères ceux qui, en l'absence de dénonciations sérieuses, les ont inventées ? L'état de droit, ce n'est pas la morale absolue ni l'observance rigoureuse des lois en toutes circonstances, mais bien la distinction et le contrôle des fonctions. Dans un état de droit, la police se laisser aller à des méthodes inquisitoriales, mais le citoyen peut raisonnablement compter sur le contrôle de la police par la justice. Cependant si l'on accepte, avec la loi sur les repentis et assimilés, que juges et policiers jouent le même rôle, quel contrôle sera alors possible ? Toutefois on dit que la loi sur les repentis a été efficace, qu'elle a permis des centaines d'arrestations et la fin du terrorisme. C'est confondre la cause et les effets : ce ne sont pas les repentis qui ont vaincu le terrorisme mais c'est la défaite du terrorisme qui a créé les repentis. On devrait se demander si la loi a été ou non bénéfique à ce bien suprême d'une société démocratique qu'est le système des garanties juridiques. La réponse est que les dommages l'ont emporté sur les avantages, même si une opinion publique, indifférente au thème des garanties jusqu'au jour où elle est directement et personnellement touchée, fait semblant de ne pas s'en rendre compte. Le fait est qu'une bonne partie de la magistrature debout s'est laissée séduire par les résultats faciles et éclatants du système des repentis, qu'elle a pris pour argent comptant les déclarations des repentis jusqu'à renverser les fondements du droit, que les rumeurs ont remplacé les preuves. De grand procès ont été bâtis sur les déclarations de repentis, on a effectué des centaines d'arrestations avant de rassembler les preuves. Un magistrat italien a pu déclarer à une radio française, à propos de l'affaire Hyperion... « Je n'ai pas de preuves mais j'en trouverai ». Les hommes politiques, les enseignants, les moralistes ne se sont pas préoccupés des conséquences inquisitoriales de la loi, de la chaîne infernale des délations incontrôlables qu'elle mettait en mouvement. La réaction des victimes de la délation a été, comme on pouvait le prévoir, féroce, une série de cadavres de « balances » ont été ramassés après coup par les gardiens de prison, selon la loi barbare de nos prisons. Dans la fosse aux serpents tout est possible et rien n'est contrôlable. » Je vous demande pardon pour la longueur de cette citation, mais je crois qu'elle en valait la peine. La Cour Constitutionnelle ne put nier que toutes ces lois étaient constitutives d'un état d'exception : elle décida tout simplement que, "vu l'urgence", c'était bien comme ça. Ponce Pilate a encore les mains dans la cuvette. Il n'y a pas de mauvaise mémoire publique qui puisse écarter cette réalité, il n'y a pas d'ex PM (ministère public) qui puisse arriver à me faire accepter cette barbarie au nom de la "Raison d'État", aucune gauche respectueuse de la loi ne pourra jamais me convaincre du bien fondé de tout cela. 2. Terrorisme, conscience, "guerre préventive" C'est justement l'état d'âme, la pensée cachée et non dite, la désobéissance intérieure, qui deviennent l'objet des enquêtes, puisque c'est ce que les juges aspirent à vérifier... Dans les procès de ces dernières années, on a soumis à l'évaluation du juge pénal des comportements tels que la création d'un collectif de travailleurs opposé au syndicat, l'organisation de séminaires autogérés, la collaboration à un périodique lié à une structure associative considérée comme illicite par le biais d'un article au contenu illicite, l'intervention devant une assemblée universitaire, et, généralement, tout échange de documents politiques, lettres, coups de fils, etc, dont le contenu n'est pas pénalement punissable. Antonio Bevere, Processo penale e delitto politico, ovvero della moltiplicazione et dell'anticipazione delle pene, (Procés pénal et délit polique, ou de la multiplication et de l'anticipation des peines) dans Critica del dritto (Critique du Droit). 29-30, Sapere 2000, Avril-Septembre 1983. La Constitution, article 27, alinéa 1, dit que "la responsabilité pénale est personnelle". Pourtant notre code pénal (qui remonte au fascisme et qui fut durci sur plusieurs points à l'époque des lois spéciales) pullule de délits comme le "concours moral" ou l' "adhésion psychologique" au délit, ainsi que de toute forme de délits associatifs que l'on puisse imaginer sur la surface de la terre. Une grande partie des instruction sur le terrorisme travaillait surtout sur ces éléments mais aussi sur les soupçons et les intentions (le fameux "être sur le point de")selon une idée extrêmement répandue du concours, du recel et des contiguïtés. On en arriva à théoriser les "intentions terroristes" comme existant "au-delà du but immédiatement poursuivi par la personne agissante (meurtre, dégâts, etc.)" et de le définir comme un "délit à forme libre" où le dol spécifique "offre l'élément unificateur et l'essence des délits terroristes" (c'est moi qui souligne) (2). Plus simplement c'est l'intention qui est terroriste, la fin ultime, même s'il faut faire abstraction des faits concrets. Ce n'est pas étonnant si, dans de nombreuses affaires, on finit par faire le procès de la personnalité et de l'idéologie des accusés, n'hésitant pas à identifier cette dernière d'après leurs relation amicales avec Pierre et Paul ou parce qu'ils ont hébergé Jacques. On est terroriste, indépendamment même de ce qu'on fait. C'est l'intention qui est terroriste, c'est contre elle qu'est menée une "guerre préventive", ce qui est typique de la société de contrôle. Il y a "conspiration", même si elle a abouti sur rien. On peut vous accuser de d' "insurrection" même si l'insurrection n'a pas eu lieu. : comme dit Pietro Calogero, il s'agit d'un "délit à consommation anticipée", ce qui veut dire plus simplement - que le vrai délit est de "vouloir" l'insurrection. Tribunaux de la conscience. Je ne suis pas juriste, pourtant il me semble que je peux saisir le noyau idéologique ; le "meme" de cette idée de "prévention" à la même époque, Outre Atlantique, dans l'Anti-Riot Act - avril '968, conçu et utilisé contre les mouvements afro-américains et la mobilisation pour mettre fin à la guerre au Viêt-nam. Cette loi punit ceux qui, au cours d'un déplacement sur le réseau routier ou pendant l'utilisation des infrastructures du réseau routier, commettent des actes destinés à "inciter, organiser, promouvoir, encourager, participer et fomenter une émeute [riot] ou aider quelqu'un dans ce sens". Selon la loi américaine, un riot est un rassemblement de cinq personnes ou plus qui, en se comportant de manière violente ou en menaçant de le faire, mettent en grand péril les personnes ou les biens. Pour résumer, certains membres des mouvements américains furent soumis à des enquêtes, jugés et condamnés pour avoir voyagé sur le réseau routier dans l'intention d'aider quelqu'un à encourager le rassemblement de cinq personnes risquant de se comporter de manière à causer des dommages à la propriété d'autrui. J'espère avoir démontré clairement la grande distance qui sépare la personne du délit présumé. Qu'il soit bien clair que je ne suis pas en train de dire que tous les accusés des procès contre le terrorisme étaient étrangers aux faits reprochés, loin de là. Toutefois, beaucoup de gens furent jugés et condamnés non pas pour des actes spécifiques mais plutôt au nom d'une idée abstraite de "spécificité terroriste". Le légendaire "procès d'intention" devint une réalité grâce à la Raison d'État. Les effets de cette déformation sur l'opinion publique perdurent encore aujourd'hui. Ce n'est pas un hasard si ce qu'on reproche le plus à Cesare Battisti, c'est de "ne pas s'être repenti". Ce n'est pas un hasard si la croissante "monstrification" médiatique de Cesare Battisti, fait désormais abstraction des délits pour lesquels il a été condamné et se concentre sur son style de vie d'aujourd'hui, on l'accuse d'être "lâche" parce qu'il a fuit, d'être "fourbe" parce que le "lobby des écrivains de gauche" le protège, on l'agresse avec des flashes à bout portant à sa sorti de prison afin d'obtenir des images étranges, de figer la grimace fugace et de le balancer à la une des journaux pour montrer à quel point il est "affreux, sale et méchant". Un journaliste de l'Unità (journal du Parti Communiste Italien) se demande : "Battisti est-il toujours convaincu que tuer le boucher Lino Sabbadin ou le bijoutier Pierluigi Torregiani fut un acte révolutionnaire ?" Dans un pays laïc, réellement dominé par une culture du droit et des garanties, la "conviction" de Battisti, la "pseudo-enquête psychologique" sur son repentir, seraient hors sujet et n'auraient aucune influence." 3. Censures et erreurs de la presse sur l'affaire Battisti Mon objectif n'est pas de démontrer que Cesare Battisti est innocent. Ce n'est ni à moi ni à l'opinion publique d'en juger. Ce que je tiens à faire comprendre, c'est qu'en général la manière d'aborder cette affaire souffre de toutes les distorsions, vices de procédure et imbroglio non résolus de la période de l'état d'urgence. Ce sont ces éléments, dont on ne veut pas faire table rase, qui empêchent une analyse rationnelle, laïque et constructive. Les reconstitutions hâtives du cas judiciaire de Cesare Battisti, éditées dans la presse italienne, sont très éloignées de la réalité des faits et même en contradiction avec les actes de l'instruction et des procès. Si même un des PM (Ministère Public) de l'époque glisse des erreurs grossières dans sa lettre ouverte, écrivant par exemple que le bijoutier Torregiani avait tué un cambrioleur dans son propre magasin alors que ça s'est passé au restaurant Transatlantico (3), que penser des simples commentateurs de versions de quatrième main ? Tous, vraiment tous, répètent que Battisti a tiré sur Torregiani et sur son fils de treize ans, condamnant ce dernier au fauteuil roulant. Alberto Torregiani a même été interviewé par les chaînes télévisées qui l'ont présenté comme "victime de Cesare Battisti. Pourtant, selon les dires du même ex-P.M, Battisti ne faisait pas partie du commando qui a tué Torregiani. (4) Battisti a été condamné pour avoir "conçu" et/ou "organisé ce crime, conclusion très difficile à démontrer, entièrement basée sur des présomptions et des témoignages de "repentis". C'est une des choses qui, de l'autre côté des Alpes, fait tiquer aussi bien la justice que l'opinion publique. Battisti est également dénoncé par des "repentis" en tant que responsable de deux meurtres perpétrés le même jour à la même heure. Face à cette évidente impossibilité logique, le tableau se modifie, il serait exécuteur matériel de l'un (meurtre de Sabbadin) et "concepteur" de l'autre (crime Torregiani). De plus il serait également responsable de dizaines et dizaines de braquages et, en général, de tous les délits commis par l'organisation dont il faisait partie, les Prolétaires Armés pour le Communisme (groupe qui eut une existence assez brève). Ceux qui ignorent à quel point notre droit (surtout celui des lois spéciales anti- terrorisme) est entaché de contiguïtés, de complicités et de "co-participations" de toutes sortes, ne peuvent que s'étonner et trouver des contradictions dans le tableau dépeint par la sentence. Je ne suis pas en train de mener une contre-enquête, ce qui m'importe de comprendre c'est pourquoi, devant les énormes idioties relatées dans les médias sur le rôle de Battisti dans le meurtre de Torregiani, monsieur Sparato n'a pas agi dans l'intérêt d'une information juste et d'une meilleure compréhension de l'affaire, en prenant papier et stylo pour expliquer "Attention, ceci est-il vrai ? » Pourquoi, bien que sachant parfaitement que Battisti n'a jamais tiré sur un petit garçon sans défense, Sparato n'a-t-il pas démenti le hurlement des chiens de l'information ? Pense-t-il avoir fait honneur à la fonction publique qu'il exerce en se comportant de manière si hésitante ? Le directeur d'un journal raciste, lors d'une émission télé, a crié, sur le registre de l'hystérie, que Cesare Battisti "a tiré dans le dos du bijoutier Torregiani", décrivant le guet-apens de manière encore plus ignoble que ce qu'on peut imaginer. Mais Battisti n'y était pas, comme nous l'a confirmé Mr Spataro. En outre, Torregiani - qui portait un gilet pare balles - affronta le commando et répliqua aux tirs. Ce qui rend la tragédie plus amère, c'est que ce fut une de ses balles qui frappa son fils Alberto. La veille, Torregiani dînait au Transatlantico avec un de ses clients, M. Lo Cascio. À un moment donné deux hommes entrèrent dans le restaurant et, sous la menace de leurs armes, dérobèrent portefeuilles, bijoux, montres etc. Se comportant de manière pour le moins "imprudente" Torregiani et Lo Cascio dégainèrent leurs pistolets et déclenchèrent une fusillade au cours de laquelle un des braqueurs et un client furent tués, ce dernier serait encore vivant si tout les monde avait gardé son sang froid au lieu d'essayer de se faire justice soi-même. Ce fait divers ne justifie en rien la justice sommaire des P.A.C., d'autant plus que si Torregiani s'est rendu coupable lui même de justice sommaire, en le tuant et en blessant un innocent cette organisatio ne fit que répéter l'histoire de la veille. Mais justement, comme il est hors de question de justifier cet attentat, pourquoi soustraire cet épisode de toutes les reconstitutions de l'affaire ? Pourquoi cacher ce premier maillon de la chaîne ? Peut-être parce que Pierluigi Torregiani ne peut être décrit comme un être humain, avec ses contradictions et ses tragiques erreurs, mais seulement comme une "héros bourgeois", un saint défenseur des biens, un chevalier blanc, pour que Battisti apparaisse encore plus sanguinaire et monstrueux ? Et encore pourquoi omettre de citer les protestations d'Amnisty International pour la manière dont ont été traités les suspects pendant leur garde à vue, utilisant le terme sans équivoque de "torture" ? Vrai ou faux ? Ce n'est pas en se taisant qu'on trouvera la réponse. 4. Le "mal français" "Mais comment se permettent-ils ces Français ? Pensent-ils pouvoir nous donner des leçons ?" Voilà un des leitmotivs de ces derniers jours. Ressentiment envers l'opinion publique française qui ne veut pas nous rendre un "boucher", un "monstre". Comme ils sont arrogants, nos "cousins" ! "Ils sont fous ces Gaulois !". Au lieu d'essayer de comprendre le point de vue des autres, nous considérons que c'est "nous" qui avons raison de manière évidente et indiscutable. Et on ne se rend pas compte que, pendant que nous les accusons de se mêler de nos affaires, c'est nous qui nous mêlons des leurs. Pourquoi les Français devraient-ils renier une pratique juridique vieille de plusieurs dizaines d'années, la dénommée "Doctrine Mitterrand", respectée par tous les gouvernements de gauche comme de droite qui se sont succédés depuis, simplement parce que leur ministre Perben a passé des accords avec notre ministre Caselli ? Si le ministre de la justice chinois, ou birman, au nez et à la barbe des lois italiennes qui interdit l'arrestation et l'extradition des personnes condamnées à mort dans leurs pays d'origine, obtenait de Caselli l'arrestation et l'extradition d'un réfugié (appelons-le Chèsàré Xiliren), ne réagirions-nous pas avec force ? Et si nous apprenions qu'un tribunal italien a déjà examiné le cas de ce Xiliren en 1991, prononçant un avis défavorable à son extradition, et qu'il revient sur cette décision alors qu'aucun élément nouveau ne justifie une nouvelle arrestation et un réexamen de l'affaire treize ans après ? Et si, pour couronner le tout, Chèsàré Xiliren n'avait jamais commis aucun délit dans notre pays, se comportant, au contraire, de manière exemplaire et contribuant de surcroît à la culture nationales ? Cet exemple présente un défaut : la Chine et la Birmanie ne font pas partie de l'Union Européenne. En fait ce ressentiment à l'égard des Français se fonde sur l'idée que nos "cousins" sont en train de faire obstacle à "l'espace juridique européen". Cette critique vient d'un pays, le nôtre, qui a été critiqué et condamné plusieurs fois par la cour de Strasbourg ; d'un pays qui pendant plus de quarante ans, n'a pas respecté la Convention européenne en ce qui concerne la condamnation par contumace ; d'un pays qui, pendant et après le G8 a gardé en détention des citoyens européens sur la base d'accusations invraisemblables, s'attirant même la protestation officielle du gouvernement autrichien. En outre l'Italie détient actuellement la première place parmi les gouvernements les plus "anti-européens" et a été la risée de tout le monde pendant le semestre où elle a présidé l'UE . Pouvons-nous vraiment nous permettre de critiquer qui que ce soit sur ces sujets ? Ensuite il y a ceux qui disent que les Français ne sont tendres qu'avec les terroristes des autres, traitant très mal les leurs. Sans aucun doute. Contrairement aux affirmations de nos médias, la France n'est pas un pays qui félicite les militants de la lutte armée en leur tapant amicalement sur l'épaule. On les met en taule, comme dans le reste du monde. Nous pouvons donc simplement conclure que la gauche française ne défend pas Battisti parce qu'il a été un terroriste, mais malgré le fait qu'il l'ait été. L'opposition à l'extradition dépasse largement Battisti et son parcours personnel, bien qu'il soit opportun de noter qu'il n'a commis aucun délit depuis trente ans et qu'il n'a aucun lien avec les nouveaux groupes armés. La campagne va bien au-delà, pour les Français, il s'agit de défendre un principe, celui du droit d'asile, et un point d'honneur, celui de la parole donnée par Mitterrand à nos compatriotes réfugiés dans l'Hexagone. 5 - Solution politique et amnistie Il aura fallu un écrivain français, Daniel Pennac, pour réussir à parler d'amnistie dans les pages d'un quotidien italien. Un de nos compatriotes n'aurait probablement jamais réussi à passer certains "filtrages". Pennac, interviewé par un quidam, a dit : « Avec la République l'amnistie est devenue quelque chose de nécessaire à la conception républicaine de la paix sociale. Il y a l'exemple de la Commune mais, plus près de nous, celui de l'amnistie des membres de l'OAS, qui se sont battus avec bombes et violence contre l'indépendance de l'Algérie. Pourtant, quatre ans après la fin de la guerre, ils ont été amnistiés. Ils étaient d'extrême droite, ils ont tué, je ne cautionne pas le fait qu'ils aient tué, mais il fallait les amnistier [...] L'amnistie est le contraire de l'amnésie. Il s'agit de fermer une porte pour permettre aux historiens d'analyser une période de manière moins passionnelle. Il m'est difficile de l'admettre sentimentalement, surtout quand on pense aux victimes. Toutefois il ne faut pas considérer le problème d'un point de vue affectif. » C'est un souhait qui tombe dans l'oreille d'un sourd, dans ce pays on ne peut affronter certaines choses qu'à coups d'émotions et de psychologie des foules. On est encore hystérique sur les années Quarante, sur les foibe, sur l'épuration sauvage des fascistes exécutée par les Volante Rossa et les groupes similaires, alors comment imaginer que l'on puisse entamer un débat sur l'état d'urgence sans remuer tout ce qui est exposé plus haut. Surtout aujourd'hui, avec l'opposition à Berlusconi planquée derrière les sacs de sable des tranchées judiciaires (un beau cadeau, avec beaucoup de rubans, d'un certain leadership « girotondiste »(6)). Et pourtant il faut essayer. Je ne crois pas exagérer en affirmant que ce pays ne pourra jamais s'améliorer sans réfléchir à ce qui s'est passé dans les années Soixante-dix. Et ce n'est qu'après l'amnistie des derniers prisonniers et réfugiés de ce que la culture dominante appelle "les années de plomb", après la solution politique d'un problème qui fut et reste politique et pas seulement criminel, que l'on pourra espérer comprendre ce qui s'est passé et comment ces événements ont conditionné la vie publique italienne. (Traduction : Arlette Raynal et Serge Quadruppani) --------------------- Notes * Wu Ming pseudonyme collectif (Wu Ming, en chinois, signifie « personne ») d'un groupe de jeunes écrivains italiens liés au mouvement « no-global ». On trouve leurs productions et leurs théories sur le refus du copyright sur http://www.wumingfoundation.com. Wu Ming 1 s'appelle Roberto Bui. (1) Quiconque encourage, constitue, organise et dirige des associations dont le but est de renverser l'ordre démocratique par la violence, encourt une réclusion de 7 à 15 ans. Quiconque participe à de telles associations sera puni d'une réclusion de 4 à 8 ans. Dans le code pénal, l'article 270 existait déjà. "Quiconque, sur le territoire de l'État, encourage, constitue, organise ou dirige des associations destinées à instituer par la violence la dictature d'une classe sociale sur les autres, ou à supprimer violemment une classe sociale, ou encore à bouleverser les violemment l'ordre économique et social constitués dans l'État, encourt une réclusion de 5 à 12 ans. Est soumis à la même peine quiconque, sur le territoire de l'État, encourage, constitue, organise et dirige des associations dont le but est la suppression par la violence de tout ordre politique et juridique de la société. Quiconque participe à de telles associations encourt une réclusion de 1 à 3 ans. Il est évident qu'il s'agit du même délit. Dans ce cas pourquoi ce "double emploi", si ce n'est pour isoler et amplifier la "spécificité terroriste" et ainsi rallonger les peines ? (2) Citation de ce qu'on nomme "Carte de Cadenabbia", document qui conclue le colloque de magistrats en charge des principales enquêtes sur le terrorisme, cit. R. Canosa - A. Santosuosso, Il processo politico in Italia, Critica del Dritto (Le procès politique en Italie, Critique du Droit) N° 23-24, Nuove Edizioni Operaie, Rome, Octobre 1981-mars 1982, page 17. (3) La reconstitution détaillée des événements qui suivent est tirée du Processo all'instruttoria. Storia di un'inquisizione politica (Procès de l'instruction. Histoire d'une inquisition politique) de Laura Grimaldi, Ed. Milano Libri, 1981. (4) D'après un texte d'Armando Sparato, repris intégralement dans "Se a Parigi pari sono Battisti e Victor Hugo" de Mario Pirani, La Repubblica, 8 mars 2004, page 14. (5) Foibe : (6) De girotondi : mouvement de citoyens qui forment des « rondes » en se tenant par la main autour de bâtiments (dont les palais de justice) incarnant les institutions menacées par Berlusconi. 13.03.2004 _____________________________ ============================= A UN CORRESPONDANT (extraits) CARLOS (...) j'ai oublié de Répondre sur Carlos ; cela me semblait tellement énorme comme manip médiatique par TF1 allié objectif du gouvernement agissant des pressions sur la chancellerie, qu'il m'avait semblé inutile de perdre de l'énergie sur cette question quand les explications pour Battisti en demandaient tant. Après réflexion et relecture, il est bien vrai qu'à relire un mail se terminant par l'évocation du contre exemple de Carlos, on ne peut se taire. Il me paraît pourtant clair que la situation de Carlos incarcéré ne l'autorisait pas à clamer son bonheur de tuer s'il n'avait pas été invité à le faire... à renfort de quoi ? Rémission de peine, force fric, ou tout simplement pression des services français ? A entendre son interview accompagnée de photos réjouies, il jouirait donc visiblement d'évoquer sa puissance passée au nombre de morts et à l'étendue de la terreur qu'il a semés... et prêt à réactualiser ses actes... Cette apologie du terrorisme ne tombait-elle pas à point pour édifier la campagne absconsse de Perben légalisant une loi d'exception dans un Etat ne s'étant pas préalablement proclamé comme tel par conséquent qui se dit toujours de droit ? Carlos était un mercenaire qui a tenu un réseau armé en Occident au service de divers lobbies du Moyen Orient (pas toujours les mêmes malgré les apparences) qui le payaient - et parfois de façon contradictoire. Il n'était pas un militant des causes qu'il servait mais au contraire moyennant monnaie sonnante et trébuchante, partie de son réseau l'aurait-il été (militant d'une cause par ex pour les Palestiniens et vas voir encore lesquels, financés par qui et soutenus secrètement par qui d'autre... ) ou se croyant l'être et d'ailleurs : l'as-tu jamais entendu ou lu dans des professions de foi ou des déclarations politiques ? L'argent serait-il souvent venu du même côté encore que.. l'attentat d'Orly relevait de la question arménienne non de la question palestinienne, le même réseau aurait-il été utilisé : les arméniens l'ont payé en argent chrétien libanais - c'est notoire - et il a monté le coup d'Orly ; pareil quand il s'agissait de coups palestiniens et pourquoi pas du côté opposé... A entendre son interview accompagnée de photos réjouies, il jouirait donc visiblement d'évoquer sa puissance passée au nombre de morts et à l'étendue de la terreur qu'il a semées... C'est un criminel patenté, une sorte de toxicomane, un manipulateur. En Italie c'était une lente guerre civile. A.G. ___________________________________ < n e t t i m e - f r > Liste francophone de politique, art et culture liés au Net Annonces et filtrage collectif de textes. <> Informations sur la liste : http://nettime.samizdat.net <> Archive complèves de la listes : http://amsterdam.nettime.org <> Votre abonnement : http://listes.samizdat.net/wws/info/nettime-fr <> Contact humain : nettime-fr-owner@samizdat.net