gilbert.quelennec on Tue, 25 Apr 2006 19:58:51 +0200 (CEST)
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[nettime-fr] acrimed: Critique de la caricature ou caricature de la critique ? Le Monde a lu LQR
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Critique de la caricature ou caricature de la critique ? Le Monde a lu
LQR
Alain Thorens et Grégory Rzepski
Publié le mardi 25 avril 2006
Une surprise est toujours possible. Le 14 avril 2006, le « journal de
référence » a publié une critique de LQR, La propagande du
quotidien [1] d’Eric Hazan, signée Nicolas Weill. Historique : sauf
erreur, il s’agit du premier compte-rendu d’un livre de Raisons d’agir
dans Le Monde.
A la lecture de l’article, hélas, l’étonnement fait place à la
consternation. Comme son titre - « Caricature contre langue de bois » -
l’indique, sa critique réduit le travail d’Eric Hazan à une
dénonciation caricaturale de « la "propagande du quotidien" ainsi que
[de] divers "propagandistes" appartenant au monde intellectuel,
médiatique ou politique. »
Après trois paragraphes contournés qui disent à peine de quoi il est
question dans cet ouvrage, Nicolas Weill concède que « parfois
l’analyse tombe juste ». Mais, c’est pour en venir aussitôt à
« l’essentiel » : « Parfois aussi l’opuscule dérape, victime d’un goût
immodéré pour les listes de proscriptions, typique de bien des ouvrages
de cette collection lancée par Pierre Bourdieu et ses proches. » On l’a
compris : plus encore que l’ouvrage d’Eric Hazan, c’est la collection
qui est visée à travers lui. Sans doute est-ce la raison pour laquelle
Le Monde se prive d’en rendre compte ou préfère prescrire ce qu’il faut
en penser sans vraiment en rendre compte.
Ainsi, l’ouvrage d’Eric Hazan témoignerait d’un « goût immodéré pour
les listes de proscriptions ». Des « proscriptions » ? L’auteur et la
collection dans laquelle il écrit seraient donc de lointains
continuateurs de l’Empire romain dans lequel, nous apprend Le Petit
Robert, la proscription était une « mise hors la loi », et, déjà, une
« condamnation prononcée sans jugement contre des adversaires
politiques. ». Nicolas Weill s’abstient de nous donner la liste de ces
prétendus proscrits. Parmi eux, on compte pourtant Le Monde, plusieurs
fois cité dans LQR [2], Jean-Marie Colombani, présenté comme un
fabricant parmi d’autres de l’« écran sémantique permettant de faire
tourner le moteur sans jamais en dévoiler les rouages [3] » et ...
Weill Nicolas, (« pourfendeur journalistique de l’antisémitisme dans sa
version estampillée Likoud [4] ». Avec ce complément d’information, le
lecteur aurait pu découvrir qu’Eric Hazan ne prive pas ses adversaires
de noms et d’arguments, tandis que, sous couvert de critique de livre,
Nicolas Weill a rédigé un droit de réponse personnel, voire un
règlement de compte à peine subliminal...
... Qui se poursuit par l’évocation d’« autres caractéristiques ».
Première d’entre elles : « une conception marxisante du social ramenée
à la seule figure de la guerre civile ». « Marxisant » ? La figure du
conflit (et non de la « guerre civile ») n’apparaît pourtant que dans
le quatrième et dernier chapitre du livre d’Eric Hazan. On n’y trouve
aucune référence à Marx [5] (et d’ailleurs, en quoi serait-ce si
terrible ?) mais un long résumé de La Cité divisée de Nicole Loraux,
helléniste reconnue, et des réflexions inspirées explicitement par
Jacques Rancière qui n’est plus marxiste depuis... 1968.
Autre « caractéristique » : « une fixation sur le conflit israélo-arabe
érigé en paradigme exportable sur tous les fronts d’une lutte des
classes qui n’oserait plus dire son nom... » Le soupçon qu’introduit la
référence à une « fixation » et surtout à son objet mérite qu’on le
soupçonne d’un excès de rigueur : le conflit en question n’est
mentionné (très brièvement) que 4 fois [6] dans un livre de 122 pages.
Détectant dans l’ouvrage qu’il critique tous les sous-entendus que,
généreusement, il lui prête - une lutte des classes qui n’ose dire son
nom, une fixation suspecte sur le conflit israélo-arabe - Nicolas
Weill, pour achever de le disqualifier, a-t-il osé laisser entendre
qu’il serait secrètement antisémite ? Ce serait un comble ! Mais le
comble est l’ordinaire de la critique selon Nicolas Weill : « Quand un
commentaire de FR3 parlant de l’assaut palestinien d’un fortin
israélien en termes d’"attaque terroriste" se retrouve comparé par
M. Hazan aux diatribes du journaliste collaborateur Philippe Henriot
contre la Résistance, on se demande qui joue dans son univers mental le
rôle de l’occupant nazi. [7] ». Il faudrait rétablir le texte exact et
l’inscrire dans son contexte pour comprendre comment le Docteur Nicolas
Weill détecte des symptômes. Dans le propos d’Eric Hazan, c’est
clairement l’armée israélienne qui joue le rôle de l’occupant. Mais
rien ne suggère que celui-ci soit équivalant au nazisme. Faut-il
comprendre qu’il est malséant de dire que l’armée israélienne est une
armée d’occupation ? On se gardera de retourner contre Nicolas Weill ce
journalisme d’insinuation et de condescendance qui l’autorise à réduire
la pensée d’Eric Hazan a des phantasmes échappés de son « univers
mental ».
Comment parvenu à un tel sommet, Nicolas Weill pouvait-il conclure sa
petite entreprise de démolition ? En gravissant non plus les sentiers
escarpés de l’insinuation, mais la voie royale du ridicule. En effet,
après nous avoir invités à visiter « l’univers mental » d’Eric Hazan,
Nicolas Weill nous propose, sans transition, de visiter sa propre
bibliothèque : « Pour ce qui est de la mutation du capitalisme passé
d’une organisation industrielle et hiérarchique à une civilisation de
la précarité, on pourra préférer des livres plus fouillés auxquels
d’ailleurs l’auteur se réfère, comme Le Nouvel Esprit du capitalisme
(Gallimard, 1999) de Luc Boltanski et Eve Chiapello. Lui préfère en
rester au pamphlet et c’est un peu court. »
L’article s’achève sur cette comparaison pontifiante entre deux livres
qui n’ont presque rien à voir entre eux. Cette rencontre d’un dé à
coudre et d’un parapluie sur la table de la vivisection des livres peut
faire préférer les œuvres complètes de Proust à la critique moralisante
et démoralisante d’un Nicolas Weill qui, lui « préfère en rester au
pamphlet et c’est un peu court ».
Cette critique pamphlétaire ne contreviendrait pas aux règles
élémentaires de la probité si son auteur fournissait des informations
transparentes, plutôt que de nous offrir d’opaques allusions à des
listes de proscrits, doublée d’insinuations qu’il veut infâmantes.
Certes, le livre d’Eric Hazan n’est pas au-dessus de toute critique.
Aucun livre ne l’est. Mais, dans Le Monde, quand on ne préfère pas
passer sous silence les livres qui dérangent [8], on les exécute. Et
sous la plume de Nicolas Weill, la critique vire périodiquement à
l’épuration. C’est donc en vain que l’on attendrait de lui qu’il
s’excuse pour avoir calomnié Pierre Bourdieu, Jacques Bouveresse et
Serge Halimi en insinuant qu’ils étaient antisémites [9] et qu’il
cesse de fantasmer.
Grégory Rzepski et Alain Thorens
_________________________________________________
[1] Paris, Raisons d’agir, 2006
[2] Par exemple LQR, La propagande du quotidien, p. 17, 34, 88 et 93
[3] op. cit. p.15-16
[4] op. cit. p.86] » selon Eric Hazan), donné en exemple de
l’utilisation essentialisante de l’expression « issu(e)s de
l’immigration[[ibidem
[5] Sinon très indirectement quand Eric Hazan évoque « l’oblitération
d’un certain nombre de mots et expressions » (p.105) à la suite de la
fin de l’Union soviétique comme « prolétariat » ou « lutte des
classes »
[6] op. cit. p.21, 39, 89 et p. 97
[7] c’est nous qui soulignons
[8] Plus grand monde n’espère que Les Nouveaux chiens de garde de Serge
Halimi fasse un jour l’objet d’un compte-rendu dans Le Monde. Paru en
1997 dans la collection Raisons d’agir fondée par Pierre Bourdieu et
réédité en 2005, ce livre a pourtant été vendu, à ce jour, à plus de
250 000 exemplaires. Plus personne n’espère, pour ne parler que des
livres parus depuis la rentrée 2005, que Le Monde rende compte de celui
de Pierre Tévanian sur le voile médiatique ou de celui de Pierre
Rimbert sur Libération
[9] Lire ici-même [« Le Monde contre « les critiques antimédias »,
antidémocrates et
antisémites »->http://www.acrimed.org/article1557.html
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