Aliette Guibert-Certhoux on Thu, 7 Feb 2013 02:12:53 +0100 (CET)


[Date Prev] [Date Next] [Thread Prev] [Thread Next] [Date Index] [Thread Index]

[Nettime-fr] Sur Aaron Swartz : Ici est là-bas / web révolution et social-démocratie


Aaron Swartz : web révolution et social-démocratie

Non à la privatisation du domaine public par la Bibliothèque Nationale
de France !

http://www.savoirscom1.info/2013/01/18/non-a-la-privatisation-du-domaine-public-par-la-bibliotheque-nationale-de-france/?doing_wp_cron=1360196245.4960188865661621093750

POUR S’INFORMER CLIQUER AU-DESSUS / PUIS PROTESTER CLIQUER AU-DESSOUS :

Pétition.
https://secure.avaaz.org/fr/petition/Non_a_la_privatisation_du_domaine_public_par_la_Bibliotheque_nationale_de_France/?kGLFPdb

mercredi 6 février 2013, par Louise Desrenards

- - - - - - - - - -


===> ici est là-bas -- présentation <====


Certains ne savent pas encore qui est Aaron Swartz. Certains ne savent
pas encore que Aaron Swartz au terme de deux ans de harcèlement
judiciaire et financier exercé par le tribunal fédéral des Etats-Unis
s’est pendu à 26 ans, dans son appartement de Brooklyn, le 11 janvier
2013 — endeuillant le web entier.
Co-inventeur du RSS1 (le premier feed de syndication effectivement
partageable d’où émergèrent les formats suivants permettant les
podcasts), qui a solidarisé le web sémantique et ses blogs — puis
outil de la Presse telle qu’elle advint de la communication numérique.
Il avait alors 14 ans, c’était en 2000. Contributeur à 15 ans pour la
création et le lancement de Creative Commons, inventeur de bien
d’autres codes/ et sites que nous utilisons ou dont nous profitons
directement ou indirectement, en toute cohérence du partage et d’une
disposition activiste pour les droits civiques et le libre accès du
domaine public, et de l’information de la connaissance sur le web.

Il a pris sa vie, comme on dit dans la langue américaine où dans la
nôtre on dit plutôt, se dessaisir de — mais cela ne rendrait pas
compte de la violence active de se pendre — au terme d’une poursuite
avec des complicités secrètes du personnel du MIT contre le 4e
amendement de la constitution, incluant les services secrets comme
s’agissant de la surveillance d’un terroriste sous le Patriot Act.
Pour la réappropriation par téléchargement et la redistribution
gratuite d’un stock considérable de documents universitaires
scientifiques et littéraires, revues et autres, abusivement convertis
en capital commercial de l’organisation JSTOR (il savait très bien
qu’une caméra se trouvait dans le local technique où il déposait son
ordinateur, il n’a pas agi sous anon — et finalement il a tout rendu).

Je fréquentais souvent les première pages des articles laissés
visibles pour tous sur JSTOR, souvent les requêtes dans Google
anglophone sur des auteurs français y menaient. Avant le centenaire de
la mort de Charles-Louis Philippe, en 2009, on ne trouvait quasiment
rien sur lui dans la toile française, ni sur ses grands lecteurs
étrangers, ni sur le groupe de Carnetin ; c’était là que je trouvais
tous les indices à partir desquels je faisais ensuite des recherches
sur le web francophone. Ces articles, en effet des publications
universitaires par rapport à des lecteurs américains puisqu’il
s’agissait d’auteurs français, (et/ou du front culturel commun entre
Paris Dublin et New-York) au siècle dernier.

Mais je suis convaincue que certains appartiennent à des fonds non
universitaires car il existait et existe encore aussi bien qu’ici des
revues littéraires aux États-Unis (sans les citer maintenant), ; ces
articles pour nous réfèrent davantage aux essais sur des auteurs
publiés dans les revues littéraires ou dans les colonnes spécialisées
hebdomadaires des grands quotidiens, pour les amateurs des Lettres,
comme on en trouvait encore il y a une quinzaine d’années. Plutôt que
des revues spécialisées en sciences humaines, on pense à des revues
avant-gardistes ou pluridisciplinaires scientifiques mais non
universitaires,  (comme actuellement encore des revues comme la Revue
Chimères, ou la revue Lignes).

Je rageais de ne pouvoir aller au-delà de l’appât, qui me fournissait
pourtant de nombreux indices à partir desquels ensuite je pouvais
organiser ma recherche dans le web francophone... En général j’ai
donné les liens dans les articles de la revue des ressources où j’ai
publié les références de ces indices. Ne disposant pas de diplôme
universitaire pour accéder à l’abonnement à coût modéré, l’achat à
l’unité était trop cher pour moi (environ une vingtaine de dollars par
article). Mais tout cela était clairement soustrait au libre accès du
domaine public, étant donné l’âge des documents qui m’intéressaient en
tous cas, et pas assez anciens pour avoir fait l’objet d’une
restauration de la transcription sous la forme d’images ; je trouvais
cette restriction d’accès vraiment anormale, abusive.

Quand je réalisai qu’il s’agissait du site hacké par Aaron Swartz, ce
site qui faisait tant pester ses amis de archive.org (une autre de mes
sources), selon ce que j’apprends maintenant, j’ai tout de suite
compris que ce n’était pas une vision sociale utopique de la culture
qui supportait son acte en amont, y compris s’agissant des sciences
exactes, mais une conception tout à fait pragmatique de ce qui pouvait
être fait et adaptée aux attentes des gens en quête de savoir sans
statut pour y parvenir.

Pourquoi enfermer le savoir, d’autant plus quand ses auteurs ne sont
plus là pour profiter de leur exploitation, et les sources tombées
depuis longtemps dans le domaine public appartenant à tous ?

Exemple : à la requête « Charles-Louis Philippe, T.S. Eliot, » dans
Google, j’obtiens exactement Charles-Louis Philippe and T. S. Eliot,
[le contenu n’est-il pas intéressant pour nous ? Bien sûr que si]
Grover Smith (Yale University) in American Literature Vol. 22, No. 3
(Nov., 1950), pp. 254-259 Published by : Duke University Press .
Bien sûr, ces sources sont en réalité dans le domaine public selon la
loi américaine et même davantage, y compris dans la loi française,
concernant les ouvrages de 1950, pourtant plus exigeante.

Enfin, sur la « scientificité » dont la Presse française se gausse,
comme s’il s’agissait d’une utopie de jeune lettré, imaginant
peut-être qu’il pût essentiellement s’agir de formules mathématiques
venues des physiciens qui travaillent sur l’accélérateur de particules
du CERN, je pose : A Hacker Manifesto n’est-il pas publié aussi par un
éditeur universitaire — Harvard Press ? Oui, pourtant on ne peut pas
dire que ce soit un ouvrage scientifique, mais plutôt un essai épique,
peut-être d’un marxisme plus proche d’Homère que de Engels dont il
reprend pourtant la dialectique de la nature ? Voilà comment on peut
semer de fausses idées représentatives sur les sources hackées par
Aaron Swartz au MIT, s’agissant de JSTOR, qui bien sûr peut aussi
comprendre des sources mathématiques.

Le gouvernement américain, en recourant contre lui aux lois Computer
Fraud et Abuse Act de 1986, et pour prouver au défaut de la loi SOPA,
qu’Aaron Swartz avait réussi à faire différer sine die, que la
répression renforcée par les lois sur la sécurité intérieure pouvait
néanmoins s’exercer, avec 13 chefs d’inculpation, pour l’enfermer
pendant 35 à 50 ans. À moins d’accepter de se déclarer un traître (se
décrédibiliser d’agir dans sa discipline durant sa vie entière) pour
alléger sa peine. Il avait d’autre part épuisé ses ressources
personnelles au terme de la procédure par épisodes (la première fois,
il avait du déposer 100.000 dollars), une si longue procédure de deux
ans prenant tout et pour couronner ce tout et la caution portée à
1.000.000 de dollars c ce qui ne peut exister ni pour lui ni dans le
soutien de son milieu, par conséquent impossible à apurer : il n’avait
aucune chance. Pour un acte qui n’était ni un vol ni un meurtre.

Le refus de plaider coupable pour alléger sa peine c’était par fierté
mais aussi pour se protéger de ne plus pouvoir agir légalement, ni
professionnellement de gagner sa vie, ni d’exercer ses droits
légitimes d’activiste. Il a donc refusé sachant le pire, et le pire de
tout étant qu’il échapperait à la prison en dérobant sa vie à
l’infamie de la justice, qui réalise l’injustice contre ceux qui se
défendent non coupables. Cela aussi, sans doute y avait-il déjà pensé,
comme il lui était déjà arrivé d’aborder l’idée de sa mort.

Alors oui ils l’ont tué dans la mesure où il n’avait le choix qu’entre
se livrer ou se détruire — pour les empêcher de le prendre, — et oui
il a pu aussi être assassiné, car le rapport légal mentionne une
pendaison sans l’attribuer à (ni même citer le mot) suicide. Le
contexte et la situation comme sa fatigue extrême laissent supposer
que sa pendaison fut un suicide — mais ne faut-il pas un peu de force
physique pour organiser sa pendaison, et se pendre ? Et ceux qui
l’aimaient ont perdu leur Dionysos, écartelé, mangé par des prédateurs
légaux, et finalement se portant le coup fatal à moins qu’on l’y ait
aidé.

Mais même l’énigme sur la façon dont Aaron Swartz aurait pu mourir ne
compte pas (sauf pour punir des criminels, ce qui ne déplairait à
personne, et de toutes façons on en connaît déjà derrière la mort, ils
l’avaient déjà tué, du point de vue existentiel, quand la mort fut
décidée, et l’aurait-elle été par Aaron Swartz réalisant lui-même son
destin). Mais personne ne pourra détruire la charge symbolique de sa
disparition rendue si forte par la puissance de la trace qu’il a
laissée et le réseau qu’il soulève, toujours dans le sens collectif,
toujours dans le désir révolutionnaire d’agir.

Allègement de peu de peine quoi qu’il pût en être, puisqu’il
s’agissait d’abord de faire un exemple contre les inventeurs des
sources libres qui prétendent les défendre, et pour les soumettre,
parce que justement il avait réussi à faire repousser sine die la loi
Stop Online Piracy Act et par voie de conséquence la loi Protect IP
Act, le double dossier ayant été classé au Sénat le 20 janvier 2012.

La guérilla non violente a surgi contre le progrès des lois
américaines qui supprimaient les libertés de communiquer — entre la
population et pour la population — toutes les formes de documents et
d’information de la connaissance en accès libre, de la même façon que
Wikileaks fut empêché d’informer sur les échanges entre les pouvoirs
sur les pouvoirs, comme si la culture allait devenir secrète, elle
aussi, dans l’état d’une propriété à vocation exclusive d’une classe
sociale capable de payer l’université — où le crédit pour y parvenir.

C’est en France que ces lois délirantes ont été expérimentées en
premier lieu, et devenant des sortes de modèles de cupidité
exportable, convoité ; si on compare les États-Unis et la France, tout
simplement les dates l’indiquent : d’abord en interdisant de façon
répressive le Peer To Peer (P2P) avec la loi DADVSI, votée en juin
2006, puis au nom de la taxation du droit d’auteur sur les contenus
téléchargeables avec l’HADOPI, qui renforça la précédente en
l’étendant et en la dotant d’une bureaucratie arbitraire, autorisée à
réprimer sans recours ; cependant le projet de la loi SOPA ne fut
déposé qu’en octobre 2011, après le PRO-IP Act avorté en 2008, mais de
toutes façons après notre inspirante DADVSI, la leur devint le Protect
IP Act (PIPA) proposé en mai 2011. Oui, nous sommes bien les premiers
au calendrier des infamies contre les droits civiques et individuels
dans ces domaines.

D’ailleurs, en matière de droits d’auteur pour la musique contre le
piratage sur Internet en France, faut-il remarquer qu’au lieu de
sauver la production de la musique et sa reproduction sur des supports
matériels, ainsi que les métiers d’arts autour de l’industrie du
disque (vinyls et DVD), et les droits d’auteur, comme cela avait été
claironné pour justifier les mesures, en réalité ces supports ont
disparu ainsi que les boutiques qui les vendaient. Ne restent
principalement en France que des formats numériques, trop onéreux à
l’unité ou de piètre qualité. Et en fait ce fut non seulement
l’enterrement d’une industrie mais encore la réduction de la diversité
musicale et l’appauvrissement de l’écoute. Il n’a pas fallu quatre ans
pour liquider une industrie entière par ici et un plaisir ou un art de
l’écoute largement partagé il y a encore peu de temps, à partir du
moment où l’interdiction du téléchargement gratuit est devenue
exécutive. L’écoute gratuite convenait au commerce des objets
tactiles.

Nous avons combattu ici sans être parvenus à empêcher ces lois qui
nous ont été imposées de force par le gouvernement précédent son
assemblée et ses lobbies, ni à les vaincre sous le suivant qui est
l’objet du même lobbying, parce que nous sommes étouffés par la
social-démocratie qui nous empêche, c’est-à-dire que nous sommes
auto-résignés par empathie. Le cas de la musique étant résolu, voici
le domaine public de la Bibliothèque Nationale de France qui va fondre
sous nos yeux. C'est très proche de l'affaire JSTOR qui en fait se
renfloue avec la fonte des archives du domaine public américain.

La déroute des défenseurs de SOPA fut le résultat d’une énergie
patiente et énergique d’un activisme visant les droits
constitutionnels, où Aaron Swartz qui sut très vite rassembler du
monde autour de lui, depuis un petit groupe d’amis, entra dans les
commissions du Congrès fort d’une pétition au nombre massif de
signatures, sous le titre Demand Progress, nom du site source pour la
lancer. Au terme de la multiplication des procédures, finalement, un
homme s’est levé, un seul opposant pouvant provoquer la suspension
d’une loi, un démocrate, pour faire opposition à celle qu’il qualifia
de "bombe de pénétration nucléaire" contre l’Internet.

À peine Aaron Swartz était mort, les procureurs annonçaient qu’ils
abandonnaient toute charge contre lui — étrange aveu d’abus de charges
!

Maintenant une loi Aaron Swartz, soutenue par Lawrence Lessig,
co-fondateur de Creative Common, professeur de droit à Harvard, et
animateur d’une commission sur les droits au Congrès, et par d’autres
personnalités, a été déposée par la congressiste Zoe Lofgren, pour que
ce harcèlement judiciaire et policier et leurs menaces sur les
novateurs et activistes du web n’ait plus jamais lieu.

Cela pourrait aussi alléger le harcèlement de Assange et la peine de
Bradley Manning (bien qu’il dépende de la justice militaire). Mais les
choses n’en prennent pas le chemin. Tout au contraire, comme si la
mort de Swartz avait donné le signeal de d’une fusillade sur les
autres, la police fédérale et le FBI renforcent leurs pressions contre
les activistes [1]. C'est comme si Swartz était le coup d'envoi glacé
de la décision américaine d'en finir avec les activistes de choc sur
le sol des Etats-Unis, on peut craindre le pire, Aaron Swartz n'était
pas victime d'un troupeau de boeufs carriériste, il a été patiemment
détruit sur l'ordre du gouvernement américain qui maintenant tient
Appelbaum, Tor ils ne peuvent pas suporter ça... enfin ils ne peuvent
rien prouver contre lui mais ils le harcèlent, ils ont entrepris de le
menacer pour le fragiliser, Comme Daniel Ellsberg le soutient on peut
espérer qu'il tiendra.

Toute analyse relative à une dépression et à des anti-dépresseurs ou à
la « bipolarité des génies » situera cette mort au-delà de ses
véritables causes, et bien davantage cherchant à en effacer l’enjeu.
Car dans l’irréversibilité de la mort de Aaron Swartz se joue la
dernière action symbolique du combattant de l’ombre qui tombe : la
révélation de sa succession. Quand bien même il ne l’aurait pas pensé
exactement comme ça, (ce qui serait difficile à croire après avoir
découvert sa détermination au long de sa décennie de publications),
justement le travail émergent d’Aaron Swartz tant technique que
civique était public : c’est donc la question de la poursuite du
combat public pour le recouvrement des libertés à l’échelle du monde
virtuel, qui se pose, réalité de la connaissance qui fonde les
sociétés ouvertes à tous et pour tous, ce qui les rend plus sociables,
solidaires, et informées : la question de la poursuite du combat.
Comme les phénomènes anonymes y vont par légions ou le reste du temps
un par un, on peut parier sur la poursuite du combat, qui sans aucun
doute ne fera pas défaut.

Su le chemin de l’abstraction de toute valeur rien ne résistera, la
dépense et le coût sont si bas pour des revenus si élevés, en faisant
disparaître les intermédiaires humains qui entre temps ne seraient pas
restés à leur place productive de la machine à battre la valeur pour
la faire monter, ou ceux dont ils ont tellement fait les poches qu’ils
ont fini par les vider, ce qui les rend socialement inutiles à
défendre : si nous ne réagissons pas, nous allons tous y passer.
Levons-nous.
(L. D.)

Aaron’s Army, Memorial for Aaron Swartz at the Internet Archive,
January 24, 2013, Text of Remarks by Carl Malamud.
https://public.resource.org/aaron/army/

- - - - - - - - - -


===> web révolution et social-démocratie - méditation <===


(la suite)

http://www.larevuedesressources.org/aaron-swartz-web-revolution-et-social-democratie,2499.html



-- 



Animatrice, éditorialiste, directrice des éditions
http://www.criticalsecret.com
http://www.criticalsecret.net
http://www.criticalsecret.org

Podcast thématique
http://www.criticalsecret.com/n15/index.php

Auteur et partenaire éditorial
http://www.larevuedesressources.org

_______________________________________________
Nettime-fr mailing list
http://www.nettime.org/cgi-bin/mailman/listinfo/nettime-fr